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prompts l’un que l’autre. Point d’ambition, point de désir hâtif de paraître au premier rang où la force des choses va le faire monter. Bien au contraire ! et quand une tâche lui incombe, il l’exécute, il en poursuit le succès par tous les moyens, avec une volonté, une résolution, une fermeté inébranlables, enfin avec cette vaillance simple qui ne court au-devant d’aucun danger, et qui, au besoin, les dédaigne tous.

Après la bataille, Sherman se prit de querelle avec les journalistes, contre lesquels il avait déjà, une rancune, et dont la présence à l’armée lui suggère les réflexions suivantes : « Ils n’y font que du mal, ne vivent que de cancans, ramassent, disséminent toutes les médisances, et finissent par se fixer au quartier-général de quelque chef qui trouve plus facile de se faire faire une réputation par eux que de la gagner à la tête de ses troupes. Enclins à prophétiser, à raconter des faits qui donnent l’éveil à l’ennemi, ils sont aussi obligés de voir les choses au point de vue de leurs patrons, et par suite ils entraînent les officiers de l’armée dans des controverses politiques, ce qui est à la fois dangereux et coupable. » La querelle dont nous parlons vint de ce que Grant, plus occupé de battre l’ennemi que de satisfaire la curiosité publique, ayant négligé de faire un rapport sur la bataille de Siloh, la presse y suppléa à sa manière. Recueillant tous les propos des gens d’arrière-garde, des chirurgiens civils, des membres des sociétés de secours aux blessés, etc., on affirma publiquement que « nous avions été surpris, que les rebelles nous avaient trouvés dans nos tentes, dans nos lits, que le général Grant était ivre ! » Un M. Staunton, qui occupait un poste électif important dans l’état de l’Ohio, se fit le propagateur de ces bruits dans des lettres publiques. Piqué au vif par ces calomnies, Sherman répondit vertement et avec un tel succès que l’accusateur, déchu et mis au ban de l’opinion, ne fut plus désigné que sous le nom de feu M. Staunton. Quel dommage que les calomniateurs ne soient pas tous traités de la même façon !

Ce n’était pas fini cependant, et ces calomnies eurent un autre résultat. Qui vit-on apparaître au camp quelques jours après la bataille ? Le général en chef de Saint-Louis, l’homme au grand crayon ! Il venait pour réorganiser l’armée, et son premier soin fut d’en ôter le commandement à Grant, relégué dans les fonctions illusoires de commandant en second. Quelle récompense le lendemain d’un grand succès ! Grant dévora l’affront pendant quelques jours, puis se décida à renoncer à sa carrière. Au premier bruit de cette résolution, Sherman accourt. — « Vous vous en allez ! Pourquoi ? — Sherman, vous savez, je gêne ici. J’ai tenu bon tant que j’ai pu ; mais la mesure est comble, je m’en vais ! » Sherman lui représenta que, s’il s’en allait, les événemens n’en suivraient pas moins leur cours ;