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tour à tour du ciseau et du pinceau, du crayon de l’architecte et de la plume du poète, pour nous livrer les secrets de son âme et donner un corps, quel qu’il fût, à l’idéal qui la tourmentait.

Rien de moins facile assurément que la tâche qu’il s’agissait ici d’entreprendre. Non-seulement ceux qui la tentaient couraient le risque, après tant de travaux accomplis à toutes les époques sur le même sujet, de ne faire que répéter en d’autres termes ce que depuis Vasari et Condivi jusqu’à Quatremère de Quincy, jusqu’à M. Charles Clément, cent écrivains avaient dit avant eux; mais pour quelques-uns des nouveaux panégyristes le danger était encore de tomber dans leurs propres redites. Déjà par exemple M. Paul Mantz, dans son livre sur les Chefs-d’œuvre de la peinture italienne, plus récemment M. Charles Blanc, dans une importante notice écrite pour l’Histoire des peintres, avaient rappelé les titres de Michel-Ange à l’admiration universelle avec une abondance d’aperçus et des développemens qui semblaient devoir leur interdire tout essai d’appendice à des travaux aussi complets. Et néanmoins en traitant, l’un du Génie de Michel-Ange dans le dessin, l’autre de Michel-Ange peintre, tous deux ont trouvé le moyen de revenir utilement sur des questions qu’ils croyaient peut-être eux-mêmes avoir épuisées.

De son côté, sans être aussi étroitement lié par ses antécédens personnels, M. Mézières trouvait pour apprécier les poésies de Michel-Ange plutôt des embarras que des ressources dans le nombre infini de commentaires, d’explications romanesques, de conjectures de toute sorte, auxquelles les Rime n’ont cessé de donner lieu à partir de l’année où elles furent publiées pour la première fois (1623) par un des neveux de l’artiste-poète. En outre, dès cette époque comme depuis lors, le texte original avait subi tant d’additions ou de suppressions, tant de vers de source apocryphe ou suspecte étaient venus le compliquer que, pour séparer ici l’ivraie du bon grain ou pour reconquérir quelque partie de la moisson perdue, il fallait une sûreté de coup d’œil et de goût égale à la patience dans les informations. M. Mézières s’est acquitté à souhait de cette besogne délicate. Tout en reconnaissant avec lui ce qu’il doit à l’excellente édition des Rime donnée, il y a quelques années, par M. Cesare Guasti, on ne saurait lui contester le mérite d’avoir à la fois achevé de porter la lumière sur plus d’un point historique encore incomplètement éclairci, et, pour les caractères mêmes des œuvres dont il s’était fait juge, d’avoir réussi à dégager le sens des sévères beautés qu’elles comportent, des pensées en quelque sorte passionnément austères qui les ont inspirées.

Ce qui distingue en effet les Sonnets de Michel-Ange des plus célèbres compositions du même genre en Italie, ce n’est pas seulement la fermeté tout individuelle de l’accent et du tour, c’est au fond chez celui qui les a écrits un sentiment de mélancolie saine, de mâle soumission