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le vieux conspirateur, qui du reste a dit quelques mots fort simples, apparaît avec « la majesté de l’âge! » Il n’est plus question que de « sentimens larges et profonds » débordant de toutes parts. La France ne sait plus comment exprimer sa joie et son orgueil, et l’Europe elle-même, oui, « l’Europe a senti comme un frémissement;.., tous les fronts se sont relevés non-seulement chez nous, mais au-delà de nos frontières, et depuis, les regards des peuples sont tournés vers cette France magnanime dont la gloire, disait-on, était morte...» Le scrutin du 20 février devient un événement auquel « rien ne saurait être comparé dans l’histoire. »

Voilà pourtant comment on parle, et, une fois dans cette voie, il est bien juste que le meneur le plus hardi du mouvement, celui qui cherche aujourd’hui à en recueillir le bénéfice, ait sa part dans ces apothéoses. Allons, ne marchandons pas : M. Gambetta est passé « grand homme d’état! » Il est tout simplement pour la France de 1876 ce que fut Richelieu au temps de la lutte contre la féodalité, ce que fut M. de Cavour pour l’Italie, ce qu’a été pour la Prusse M. de Bismarck, à l’heure où l’empire d’Allemagne était possible! M. Gambetta est la condensation vivante « des aspirations vagues du pays,... qu’il renvoie en rayons lumineux et chauds, c’est-à-dire dégagées de leur confusion et condensées en formules nettes... » On pouvait croire M. Gambetta un homme d’esprit; depuis quelques jours, il est occupé à reproduire cette scène de comédie où le père d’une jeune actrice qui veut avoir un rôle est occupé à répéter sans cesse aux oreilles d’un vaudevilliste : « Quel grand homme ! » Le vaudevilliste trouve cela naturel. Ce qui se passe aujourd’hui est tout aussi sérieux, — et on le reproduit dans le journal dont on dispose. On se dit ces choses-là à soi-même, et on enregistre soigneusement les brevets de satisfaction qu’on reçoit de Berlin et de Vienne. Que M. Gambetta passe pour un bon politique à Vienne et à Berlin, qu’il soit tenu pour Richelieu ou pour M. de Bismarck à Bruxelles, soit : nous demandons très humblement pour la France, qui a gardé jusqu’ici le renom d’un pays spirituel, le droit d’être la première à se moquer de ces baroques apothéoses de la vanité satisfaite. C’est bien le moins qu’on n’enrôle pas la France dans ces représentations burlesques données devant l’Europe.

Malheureusement ce n’est pas par le ridicule seul que les républicains, les radicaux, risquent de compromettre et de ruiner la république. Sous toutes ces exhibitions et toutes ces déclamations, il y a un plan poursuivi avec ténacité. Les radicaux ont beau faire et M. Gambetta lui-même a beau s’évertuer dans sa politique de bascule entre la modération et la violence, M. Gambetta et son parti ont un penchant invincible pour tous les procédés révolutionnaires. Dès qu’ils aperçoivent une occasion, ils sont toujours prêts à sortir de la légalité, et déjà dans l’orgueil