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Non assurément, cette masse nationale qui vient de se rendre au scrutin n’a point donné un mandat d’agitation, elle a donné un mandat de paix et d’ordre dans le régime établi. Si on lui refusait ce qu’elle demande, ce qu’elle attend, on s’exposerait à travailler pour l’empire, prêt à recueillir le prix des fautes de tous les autres partis; peut-être même, par des exagérations de polémique au sujet des dernières élections, a-t-on contribué au succès relatif des bonapartistes dans le scrutin du 5 mars. Et voilà pourquoi le nouveau ministère est sûr d’être dans la vérité en se tenant en garde contre les excitations. Il se conforme au vote national en étant le ministère de la république incontestée, il ne fera que s’inspirer du sentiment intime du pays en restant conservateur. C’est là certainement sa politique, et le programme qu’il présente aujourd’hui aux chambres ne peut être que la traduction de cette pensée de libérale et prévoyante modération, qui ne se confond nullement avec une politique d’immobilité.

Ce programme, que les chambres connaissent maintenant, qui a dû être lu par M. Dufaure et M. Decazes, ce programme est naturellement indiqué par les circonstances; il résoudra quelques-unes des questions qui s’agitent depuis quelque temps, et il les résoudra dans la mesure d’une politique à la fois libérale et modérée. Ainsi le ministère n’a aucune raison de se refuser à nommer une nouvelle commission des grâces en faveur des anciens condamnés de 1871 ; il repoussera certainement avec énergie cette proposition d’amnistie que M. Victor Hugo, avec ce tact, avec cet art de ménager le sentiment public qui le distingue, veut porter avec pompe au sénat le 18 mars, — pour fêter l’anniversaire de la commune! M. Victor Hugo est décidément un bon avocat, qu’il faudra charger des causes qu’on veut perdre ou qu’on sait perdues d’avance. Sur ce point, le gouvernement n’a pas beaucoup à s’inquiéter. Le dernier cabinet a eu la faiblesse de laisser amoindrir les droits de la société civile dans la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur; le nouveau ministère proposera, à ce qu’il paraît, la réintégration de l’état dans son droit de collation des grades. La levée de l’état de siège dans les départemens où il existe n’est plus même une question. La disposition exceptionnelle qui avait maintenu l’état de siège à Paris, à Versailles, à Lyon et à Marseille, devait dans tous les cas cesser au 1er mai. La loi qui a donné au gouvernement la nomination des maires sera modifiée; probablement on reviendra à la loi de 1871. Quant aux remaniemens du personnel administratif, qui ont peut-être la plus grande place dans les bruyantes revendications de ces derniers jours, il en est qui sont évidemment décidés dès aujourd’hui. Les préfets ou les fonctionnaires trop compromis sont nécessairement condamnés à disparaître avec la politique dont ils ont été les mandataires passionnés et emportés. Pour ceux-là, la disgrâce sera immédiate. Les