Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’action. Il ne pouvait de son propre chef lever un homme ni un dollar. Quand l’armée était sans pain et sans souliers, il fallait prier humblement les treize états de vouloir bien s’imposer eux-mêmes. Les soldats regagnaient leurs foyers à l’échéance de leur engagement, fût-on sur le point de décider dans une bataille le sort de l’Union. Que d’efforts et de patience dut déployer Washington pour substituer au patriotisme étroit et local l’image d’une patrie collective ! La division n’était pas moindre dans les esprits que dans la distribution des pouvoirs publics : au sein du congrès, un parti actif avait gardé l’empreinte des affections anglaises et se refusait à rompre le dernier lien qui rattachait les colonies à la métropole. Ce n’est pas du premier coup qu’un pays, même accoutumé à se gouverner dans ses propres affaires, atteint le degré de conscience qui confère la nationalité.

A tous ces germes de dissolution, la France opposa des semences d’espoir et d’union. Quand les états succombaient sous un mal dont ils souffrent encore, l’abus du crédit et la dépréciation du papier-monnaie, elle les assista, malgré le délabrement de ses propres finances. On vit ce spectacle frappant d’un pays jeune, plein de ressources disponibles et de richesse acquise, qui vivait sur les subsides d’une nation déjà vieille, chez qui la mauvaise assiette de l’impôt devait produire une révolution. Les ministres du roi très chrétien eurent assez de suite dans leurs desseins pour acheter, même à ce prix, le succès de leur politique. La présence des troupes françaises sur le sol américain raffermit les volontés chancelantes et enflamma les deux armées d’une émulation qui ramena la victoire dans leur camp. Enfin, par un hommage involontaire rendu à l’influence française, le parti national fut qualifié de gallican, et combattit sous ce titre les sympathies anglaises. Quand on envisage, d’après la correspondance diplomatique, les rapports des deux pays, la France représente la maturité, l’esprit politique, la science exacte des relations entre les peuples, en un mot toutes les qualités qu’on lui refuse aujourd’hui, tandis que la confédération unit, à plus de sève et de vitalité cachée, des vues incohérentes et une certaine franchise d’égoïsme qui sied peut-être à la jeunesse. En se séparant de l’Angleterre, les Américains réclament tous les privilèges des sujets anglais dans les pêcheries de Terre-Neuve, et la France contient à grand’peine ces appétits contradictoires. En revanche, M. de Vergennes ne se laisse pas détourner un seul instant de son but par la tentation d’envahir le Canada. En se dérobant à une entreprise qui aurait compromis le succès de la guerre sans obtenir l’appui des Canadiens, le ministre a fait preuve d’une fermeté peu commune. Bien qu’il goûte médiocrement le projet conçu par les Américains de s’emparer des possessions anglaises au sud des grands