Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le premier de ces avantages n’était qu’un leurre et compensait mal l’échec des armes espagnoles au pied du rocher de Gibraltar; c’était une folle politique qui aspirait à rétablir la domination de l’Espagne sur tout le golfe du Mexique. Jamais la disproportion entre les moyens et le but n’a été si choquante : une puissance qui n’était pas maîtresse chez elle prétendait enchaîner à sa destinée celle de vastes territoires, et dominer, à l’aide d’un souvenir, des mers déjà sillonnées par tout le commerce de l’Occident.

Contraire aux vrais intérêts de l’Espagne, le pacte de famille fut un embarras pour la France. L’adhésion du roi d’Espagne se fit attendre et on laissa passer l’occasion favorable pour entrer en campagne. On fit contre les côtes d’Angleterre une espèce d’armada qui échoua misérablement. Les amiraux ne s’entendaient pas et le temps se consumait en récriminations. La guerre se poursuit pendant trois ans sur toutes les mers, en Amérique, dans l’Inde, et l’Espagne n’appuie son allié que par de vaines démonstrations, ou bien elle le compromet par une arrogance intempestive, comme dans l’affaire des vaisseaux russes. A la paix, elle se plaindra et se dira sacrifiée, si on ne lui rend encore Gibraltar, qu’elle n’a su prendre. A quoi donc a servi le fameux pacte de famille? Ne montre-t-il pas la vanité des alliances personnelles entre souverains? La France ressemble à une corvette, remorquant le lourd galion d’Espagne et toujours gênée dans ses évolutions par un compagnon avide, soupçonneux, impuissant. Ce qui fait les alliances solides, ce n’est ni le mariage des princes, ni le voisinage des peuples, ni même la conformité des races, ce sont des intérêts communs; c’est encore, s’il s’agit d’une guerre de principes, quelque ressemblance dans les mœurs politiques des alliés. Enfin, devant cette Espagne vacillante, cette France un moment ranimée, malgré les vices de sa constitution et cette Angleterre abattue, malgré la force de la sienne, osera-t-on tirer une conclusion nouvelle, inouïe, invraisemblable, à savoir que toute politique extérieure doit avoir son point d’appui dans l’opinion? La Grande-Bretagne ne succomba-t-elle pas devant le sentiment public avant de céder aux armes des alliés? Le gouvernement de la France ne dut-il pas à une conduite toute opposée une dernière lueur de popularité? Mais ceci touche au paradoxe dans notre heureux hémisphère, où le bonheur, l’activité, les sentimens, la vie de plusieurs millions d’hommes, sont encore à la merci de deux ou trois fortes têtes.

M. Bancroft a été plus équitable envers la France dans le récit des événemens militaires que dans l’examen des sentimens qui lui ont mis les armes à la main. Il rend justice au courage de nos officiers, au sang-froid de nos marins, à la persévérance de nos ministres. Nous ne savons pas trop pourquoi nous nous battons, cependant