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à protéger les puissances neutres contre toute espèce d’agression, de quelque part qu’elle vînt. Dès lors les manœuvres de l’Angleterre n’avaient abouti qu’à ruiner la suprématie maritime qu’elle s’attribuait. Le Danemark, la Suède, la Prusse, se hâtèrent d’adhérer à la ligue des neutres; la Hollande se débattit tant qu’elle put pour en partager les bienfaits. L’Angleterre dut renoncer à faire toute seule la police des mers et la Russie, dans cette circonstance, prit la plus belle initiative qui convienne à une nation civilisée. L’Europe enfin s’engagea dans un système d’assurances mutuelles dont l’avenir tirera peut-être les conséquences, et elle apprit tout au moins à circonscrire l’incendie qu’elle ne pouvait éteindre.

En revenant des cours du nord, M. Bancroft témoigne à la Hollande une sympathie moins suspecte, bien qu’elle mette trop de partialité dans ses jugemens. « Un intérêt douloureux, dit-il, s’attache au sort de cette puissance, qui, après avoir fourni le modèle de la liberté, devait perdre la sienne au moment où les États-Unis imitaient son exemple. » On sent qu’il est ici complètement à l’aise, entouré de protestans, de Germains, presque de compatriotes. Il s’écrierait volontiers, comme un des commissaires américains : « Dans nul pays je n’ai eu davantage l’illusion de la patrie! » II rappelle comment la Hollande a été, de gré ou de force, liée à la fortune de l’Angleterre, après avoir lutté longtemps pour ses avantages maritimes; comment depuis 1688, malgré l’insigne honneur d’avoir donné un roi à la Grande-Bretagne, le petit allié souffrit maintes fois d’un accouplement inégal. Peut-être charge-t-il un peu le tableau; il n’en est pas moins vrai que ce pauvre satellite, entraîné dans l’orbite de l’Angleterre, a marché plus vite qu’il n’aurait voulu et s’est trouvé rudement secoué dans des guerres qui n’étaient pas proportionnées à sa taille. Il a payé cher la protection de son ancien antagoniste. On apercevait encore de loin en loin dans la petite planète hollandaise des élémens réfractaires qui luttaient pour l’ancienne indépendance : par exemple, chez MM. les états, sur qui l’Amérique ou la France exerçaient une attraction inégale en raison des distances, tandis que le point d’appui de l’Angleterre était dans le stathoudérat. La république était de la sorte fort tiraillée. M. Bancroft juge sévèrement le rôle du stathouder et de son parti, comme vendus à l’Angleterre; cependant, prudence ou cupidité, l’événement leur donna raison. Quant aux états, ils n’étaient pas toujours d’accord, et l’attraction vers l’Amérique était bien combattue par l’influence plus proche de la Grande-Bretagne. Sortis depuis longtemps de leur période héroïque, ils éprouvaient peut-être un entraînement moins vif vers la liberté. Ils espéraient continuer tout doucement leur train de vie sans recevoir de commotion trop violente; ils tâchaient de se faire oublier.