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n’était pas inconciliable avec la revendication pratique de l’indépendance.

Cette omission de l’historien produit des contrastes assez singuliers : après une préface aussi imposante sur le progrès des idées en Allemagne, quand il arrive aux faits, il ne peut recueillir, dans ce pays, que des sympathies stériles et quelquefois de l’hostilité à peine déguisée. Force lui est de s’en tenir au passé ou à l’avenir. Il est vrai qu’il ramasse avec joie une appréciation favorable, un bon conseil tombé de la bouche de Frédéric II ; mais il ne peut dissimuler que les meilleures troupes des Anglais sont fournies contre argent sonnant par les petits princes de l’empire, notamment par celui de Hesse : ô magnanime Frédéric, qui refuse à ces mercenaires le passage sur ses terres! ô grand Goethe, qui daigne leur témoigner du mépris! — Cependant il faut bien reconnaître que les commissaires américains sont à peu près mis à la porte par l’impératrice Marie-Thérèse. Aussi la maison d’Autriche, ce rameau flétri de l’arbre germanique, est voué à l’exécration du genre humain. Kaunitz, en résistant à la Prusse, n’a semé que des germes de mort, et l’historien, faisant un retour éloquent sur les chances de la fortune, nous montre cette maison d’Autriche humiliée par la Prusse, emportant avec elle la dépouille de la vieille Europe, c’est-à-dire « les blasons éteints, les trônes écroulés, la fiction du saint-empire romain... » En vérité, un habitant de Sirius, à cette lecture, pourrait s’imaginer que l’Allemagne forme aujourd’hui une confédération démocratique.

Malgré tous les efforts de l’historien pour donner à la figure de Frédéric vieilli je ne sais quelle grandeur mélancolique, ce prince reste à peu près tel qu’on le connaissait : clairvoyant, ferme, facile à irriter, exigeant l’obéissance passive, fort indifférent aux idées qui ne servent point ses desseins; l’esprit politique a envahi toutes ses facultés, et concentré son attention sur l’affermissement de la monarchie prussienne; mais les nouveaux documens publiés jettent une vive lumière sur ces différens traits de son caractère. On sent que l’entraînement philosophique a peu de prise sur ce véritable homme d’état. Quand il compare les avantages d’une république à ceux de la monarchie, ce qui le frappe, c’est la perpétuité des lois opposée à la succession des souverains : « la mort enlève les rois les meilleurs, tandis que les lois sages peuvent être immortelles. » Il pense toujours à l’instabilité de son œuvre, et il évoque par la pensée la suite de ses successeurs, « un ambitieux, un indolent, un dévot, puis un homme passionné pour la guerre,... » et il semble faire le compte des fautes qui peuvent compromettre ce qu’il a fondé. Le philosophe se trahit seulement quand il juge les autres par une certaine verve ironique, par des observations profondes, par