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coûteuse et stérile. Ceux de l’ancienne école ne voient pas sans appréhension cette atteinte portée à la dignité royale. Le premier ministre, le vieux Maurepas, répugne à toute initiative. Celui de la guerre, Montbarrey, se prononce nettement contre l’alliance américaine. M. de Vergennes, qui leur est supérieur à tous, est bien sollicité de combattre contre l’Angleterre, mais aucun penchant ne l’entraîne vers les insurgés. Si le cabinet se décide, ce sera par vengeance contre la Grande-Bretagne, par un intérêt bien ou mal entendu de la France, mais nullement par le principe arrêté des avantages d’un gouvernement libre. Au contraire, ils savent qu’un diplomate à la manière de Richelieu doit faire bon marché de ses principes et de ses préférences quand il s’agit de choisir un allié, et ils tendront la main aux rebelles d’Amérique comme jadis leurs devanciers aux protestans d’Allemagne. Il y a bien, derrière les ministres, une espèce d’opinion publique, ou soi-disant telle, qui pousse à aider les Américains. Mais est-ce là une force historique, ou simplement un engoûment de la mode? M. Bancroft paraît peu flatté de l’alliance des philosophes et de leur liberté spéculative. Il va dans les salons et dans les cafés, il y trouve des frondeurs qui censurent le gouvernement, des théoriciens qui attaquent l’église, une tourbe sans esprit politique et sans scrupule. Il est vrai que ces écrivains ont un pouvoir de généralisation, « dans laquelle la nation française excelle entre toutes. » Mais c’est une arme de luxe qui éclate dans les mains. D’ailleurs, comment se fier à une opinion aussi légère, qui fait une épigramme sur les Américains, le lendemain d’une bataille où le sang français a coulé pour eux? Ce qu’on remarque en France de bon et de solide, c’est la classe des petits propriétaires du sol, et voilà apparemment pourquoi nous sommes encore en vie. Or, de l’Amérique et de la guerre, les petits cultivateurs se soucient comme du Grand-Turc. Après mûre réflexion, M. Bancroft demeure convaincu qu’il est en présence d’une nation enthousiaste et folle, généreuse et légère, et, si son pays paraît lui avoir quelques obligations, il y a, dans le service rendu, un tel mélange de frivolité, d’intérêt ou de dépit contre l’Angleterre, qu’on ne peut faire aucun fonds sur cet ami d’un jour. Voilà tout ce que l’historien d’outre-mer a vu dans la grande agitation du XVIIIe siècle. Avant d’approfondir son opinion, n’est-il pas évident qu’il a été égaré par le désir d’être impartial, c’est-à-dire de ne pas trop accorder à l’entraînement de la sympathie? Autrement l’analyse lui eût montré dans la nation française, sinon des idées mûres et des principes établis, au moins des passions un peu plus énergiques que le simple engoûment. Bonnes ou mauvaises, ces passions ont eu plus de consistance et de durée que la mode, ou même que les combinaisons fortuites de l’intérêt, ou même que le désir