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pendant la dernière partie de la guerre d’indépendance. Doué d’une mémoire prodigieuse, dans laquelle les faits et les dates viennent s’ordonner sans effort, imbu de l’esprit historique et dégagé de l’esprit de système, jugeant les vivans comme s’ils étaient morts, et connaissant les morts comme s’ils étaient vivans, M. de Circourt sait par cœur les archives de l’Europe ainsi que le caractère des personnages qui contribuent à les enrichir. Il intervient donc à propos pour suivre les conséquences d’un événement sur l’échiquier du monde, et, tout en respectant les opinions de l’auteur, pour exposer les siennes de manière à redresser sans pédanterie les jugemens passionnés. Aidé de ses lumières, nous suivrons M. Bancroft dans son excursion à travers l’Europe.


I.

L’historien commence par l’Angleterre; à la vérité, il s’y arrête peu, car les affaires de la métropole sont tellement mêlées à celles des colonies qu’elles entrent dans le tissu même du récit. C’est par le cours naturel des événemens qu’on nous montrera le monde tout entier conjuré pour l’abaissement de la Grande-Bretagne : la France, sa rivale, toute prête à venger les humiliations de la guerre de sept ans, — l’Espagne, dépouillée de Gibraltar et des Baléares, — la maison d’Autriche, que l’Angleterre a combattue de concert avec la Prusse, et la Prusse, qui se plaint d’avoir été abandonnée trop tôt ; bientôt l’application arbitraire du droit de visite aux navires des puissances neutres lui aliénera son plus fidèle allié, la Hollande, et mettra sur la défensive le Danemark, la Suède et la Russie. Il lui faut alors faire face de tous les côtés à la fois : entretenir des troupes dans le Hanovre, garder ses possessions espagnoles, combattre dans les Antilles, en Floride, dans les Indes-Orientales, et, bien loin de chercher à concilier l’opinion, elle semble encore exaspérer les indifférens par des mesures brutales. En Amérique, la guerre, sous le commandement de Cornwallis et de Clinton, prend un caractère d’atrocité qui ne sied guère à la nation la plus libre de l’univers. Aux Antilles, l’avidité des amiraux livre au pillage les marchandises déposées dans les entrepôts hollandais, sans distinction de nationalité. A l’endroit des faibles, l’Angleterre agit avec un sans-façon révoltant : rien ne paraît plus odieux que les procédés employés contre la Hollande. Le trafic sur les nègres confisqués pendant la guerre empêche d’armer les populations noires et déshonore les officiers anglais. A l’intérieur, l’entêtement du roi pour conserver les colonies maintient au pouvoir des hommes incapables, mal informés de l’état réel de l’Amérique, livrés aux préjugés de caste et aux instincts dominateurs,