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que lui donnerait l’achat de quelques machines et qui a fait construire au milieu de ses champs d’oliviers un grand magasin, où elle fait presser les olives comme on le fait dans le midi de la France. Elle obtient ainsi un rendement double et plusieurs qualités d’huile, tandis que les autres presses n’en donnent au contraire qu’une seule, l’huile verte, qui est excellente, mais qui n’est jamais aussi claire que celle qu’on vend sur les marchés d’Europe, et dont les propriétaires doivent céder une grande quantité à vil prix.

Il est cependant facile de prévoir et d’assurer à Aigion comme à toutes les villes de la côte nord du Péloponèse un avenir commercial important. Elle possède par son sol trois élémens de prospérité dont un seul suffirait à lui donner un jour la richesse. Les raisins de Corinthe sont très bien exploités et ont fait la fortune de nombreuses familles. Les vins et l’huile restent encore presque sans produire ; mais le jour où les perfectionnemens nécessaires et de nouveaux modes d’exploitation seront adoptés par les propriétaires, il est hors de doute que Vostizza prendra, comme Patras, une extension considérable et contribuera aussi pour sa part à relever peu à peu la Grèce, dont le plus grand mal est la pauvreté.

Plus d’un voyageur s’est refusé à faire pressentir cette résurrection, et il est permis de sourire quand on voit combien, malgré son activité turbulente, ses aspirations au progrès et aux réformes, une société relativement nouvelle est demeurée attachée à de vieilles coutumes, à des institutions surannées, à un mode d’existence banni de toutes parts en Europe ; mais, si l’on tient à bien juger et à connaître les Grecs, il ne faut pas, comme l’ont fait tant d’hommes d’esprit et de talent, se contenter de mettre en parallèle leurs mœurs rudes et primitives avec la civilisation française et la marche des idées européennes ; le contraste à coup sûr est piquant, mais il mène à une conclusion injuste. Si l’on jette les yeux cinquante ans en arrière, si l’on se reporte à cette époque où la Grèce n’existait plus que de nom, asservie, anéantie plutôt sous le joug écrasant de la Turquie, si on se rappelle par quelle période sanglante ce peuple est passé pour arriver à reconquérir son indépendance, c’est là qu’il faut chercher un point de comparaison, c’est en face de cette grande date de 1821 qu’il faut placer l’état actuel de la Grèce, et ce rapprochement donnera sûrement lieu à moins de sévérité.

Considérons ce que les Grecs ont fait depuis cinquante ans et ne comptons leur existence que depuis ce temps. Ils n’avaient pour tout bien que la liberté ; ils existaient en fait ; — on leur avait donné un roi, un semblant de gouvernement. Ce n’était pas tout ; il fallait consolider un royaume, faire renaître une société, et cela sur des ruines, presque dans un désert, dans un pays où la nature