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existence. C’est à ces jours-là surtout qu’il est facile de les bien juger et de les connaître : le reste du temps se passe si tranquille qu’il semble plutôt un long sommeil où l’homme s’oublie lui-même et s’engourdit sans rien penser ; mais quand viennent tout d’un coup ces jours de vie et de réveil, c’est alors qu’apparaissent dans toute leur vérité les traits distinctifs de leur caractère, et que se révèlent à l’observateur étonné des instincts et des passions vraiment vivantes qu’il n’aurait jamais soupçonnées sous leur froide enveloppe.

III.

Ce n’est pas cependant aux seuls jours de fêtes qu’il est donné aux voyageurs de découvrir avec quelle vivacité les Grecs s’enthousiasment et s’enflamment. La Grèce renaît à peine, et déjà, perdue par l’exemple, elle se débat et s’épuise au milieu de troubles de toute sorte. Comme les nations puissantes et redoutées, ce pauvre peuple s’agite sous le fardeau des ambitions personnelles représentées par de nombreux partis ; mais chez lui le désordre est plus grave, parce que rien n’est encore organisé, parce qu’il n’a pas au moins cette force de résistance que trouve dans les lois la société contre l’individu, parce qu’enfin chez lui les passions naissent et se développent en plein chaos. On ne songe même pas à déguiser sous le nom de patriotisme les ambitions que chacun veut faire prévaloir ; on parle à cœur ouvert, et, comme la société n’a pas encore introduit en Grèce les euphémismes parlementaires qui servent à tromper avec politesse, personne ne rougit d’attribuer ses préférences politiques à son intérêt. C’est en province, au milieu des intrigues et des cabales de tous les partis, qu’il est facile de bien suivre le mécanisme électoral de la Grèce. Athènes s’est déjà polie au contact presque direct de l’Europe, et la surveillance y est d’ailleurs mieux exercée que dans les petites villes.

Le suffrage universel est admis en Grèce, direct, absolu. Une chambre des députés, formée à peu de chose près comme la nôtre, représente la nation ; un cabinet ministériel responsable est l’intermédiaire entre elle et le chef de l’état, en sorte que toutes les fois qu’un désaccord survient, et c’est un fait qui se produit en moyenne tous les trois mois, il y a chute du ministère ou dissolution de l’assemblée, selon que la volonté de l’un des deux pouvoirs a prévalu auprès du roi. Au premier cas, de nouveaux ministres sont choisis, nécessairement dans le sein de la chambre ; dans le second, on procède à des élections générales. C’est alors que le petit drame commence.