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grande pompe. C’est en effet le 25 mars 1821 que l’archevêque Germanos leva le premier à Calavryta le drapeau de la liberté.

Le premier samedi du carême est la « fête des âmes, » Psychosabbalon. Chacun se rend ce jour-là au cimetière, à la dernière demeure des parens ou des amis qu’il a perdus. A Aigion, la coutume est dans chaque église de distribuer aux fidèles et aux enfans qui se pressent aux portes du temple les kollyra, mélange de blé bouilli, de raisins secs, d’amandes et de grains de grenade qu’on envoie aussi en guise de lettre de faire part à tous les amis d’un mort la veille de son enterrement. L’usage veut qu’on en offre au mort lui-même. C’est un rite funéraire très ancien et particulier aux populations situées entre l’Adriatique et la mer Egée. M. A. Dumont, dans un mémoire sur les bas-reliefs représentant le banquet funèbre, s’est attaché à découvrir sur quelles superstitions reposait cette coutume, et il en donne ainsi l’explication : « Le propre de ce banquet, c’est que la nourriture est offerte au défunt, qu’elle doit refaire ses forces, qu’elle lui est nécessaire, parce que dans le tombeau il garde encore les appétits et les exigences de la vie terrestre. Son ombre réelle et tangible perdrait le peu de consistance et de force qui lui restent, si ces alimens lui manquaient. Cette croyance très précise, et qui pour nous a peu de sens, est aussi ancienne que la race grecque. » S’il en est ainsi, il est à croire qu’on envoie les kollyra aux amis du défunt , comme pour les convier à partager son dernier repas.

Enfin arrive la grande semaine (la semaine sainte) ; le jeûne devient plus austère encore, et tous les soirs chacun se rend à l’église ; c’est un devoir sacré auquel le plus insouciant, le plus incrédule des Grecs, se ferait un scrupule de manquer. Le grand jeudi, on lit les douze évangiles , et la cérémonie se prolonge fort tard ; le lendemain, jour de l’Épitaphion, tous les habitans viennent baiser la croix : l’église, froide, silencieuse, à peine éclairée, pénètre le cœur de tristesse, tandis qu’au dehors les allées et venues des fidèles qui se promènent en causant dans la ville font du vendredi saint un des jours les plus animés de l’année. Le soir, on porte en procession l’arche sainte dans les rues : les jeunes gens des premières familles de la ville se postent dans l’église pour avoir l’honneur de supporter un des bras de l’arche, et, le moment venu, c’est une véritable lutte entre eux ; l’orgueil des castes et des factions politiques excite leur prétention, et je les ai vus près d’en venir aux mains et de tirer le revolver dans l’église même. Enfin les vainqueurs sortent triomphans et marchent en tête, tandis que les autres viennent ensuite humiliés, pleins de colère, et considérant cet échec comme une honteuse défaite ; mais la voix des prêtres et les chants