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qui s’avance, se plie, se déroule, s’étend et se resserre tour à tour, obéissant au rhythme cadencé d’un chant que tous répètent à la fois. La voix baisse et s’élève, douce ou vibrante, en même temps que le mouvement du pas se ralentit ou se précipite ; par instans, à un signal du palikare qui tient la tête de la chaîne, chacun des danseurs lâche la main de son voisin, qu’il tenait élevée au-dessus de sa tête, tourne sur lui-même et reprend en chantant plus haut la main du suivant, et toujours ainsi. Un spectateur remplace aussitôt l’acteur fatigué, qui se retire, et la danse continue animée, variée et cependant toujours égale, et cette longue file d’hommes semble bientôt ne faire qu’un seul être, tant leurs mouvemens réguliers sont les mêmes et s’accordent avec les accens de leurs voix.

Il existe encore d’autres danses en grand nombre ; mais la plupart diffèrent à peine de celle que j’ai décrite ou sont beaucoup moins populaires : aucune ne s’est transmise depuis des siècles avec autant de fidélité. C’est l’antique ormos ou chaîne dont nous parlent tous les auteurs anciens et qu’on retrouve aujourd’hui dans toutes les parties de la Grèce. Comme ils ont dénaturé la musique, les usages européens ont aussi modifié sur ce point les coutumes classiques. La haute société ne consent que rarement et à l’occasion de fêtes exceptionnelles à se mêler aux chœurs si chers à leurs ancêtres ; la valse et le quadrille ont maintenant toute la faveur de la bourgeoisie, et je dois constater que durant mon séjour on a donné à Aigion quatre ou cinq bals, de vrais bals. C’est une innovation qui désolera les voyageurs en quête d’originalité ; mais on ne peut pas exiger d’un peuple qu’il se rapproche de la civilisation de ses voisins, et qu’il garde à la fois intacts tous ses anciens usages.

En revanche, aucun pays ne tient en plus religieux honneur que la Grèce ses saints et ses saintes ; aucun peuple ne s’applique davantage à varier ses cérémonies et à donner à chacune de ses fêtes un caractère particulier. Le premier jour de l’an, Protochronia ou Aios-Vasilios, a la même importance que chez nous, et c’est dans chaque maison l’occasion de grandes réjouissances dont le programme est tout tracé et ne varie jamais ; pendant une semaine entière, depuis la Noël, la ville est toute aux préparatifs de la fête, et la même scène se passe dans toutes les familles, les plus riches comme les plus pauvres. On confectionne à l’avance des gâteaux de toute sorte et en particulier le Vasilo-pita (tarte de Basile) : c’est une sorte de galette plus ou moins grande, mais qui mesure souvent un mètre de largeur, abondamment arrosée d’huile et dans laquelle on glisse une petite pièce de monnaie. Le jour de l’an venu, on découpe ce volumineux gâteau, on tire les parts au sort, et