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tous nos usages ont remplacé les vieilles coutumes orientales, et l’influence française se retrouve si bien dans tous ces changemens, que la langue elle-même emprunte à la nôtre de nombreuses locutions, des tournures de phrases et jusqu’aux plus audacieux gallicismes. La province au contraire a gardé son ancien parler comme elle a conservé ses mœurs originales, en sorte que la Grèce, comme tous les états renaissans, subit après la révolution politique une réforme littéraire qui met en opposition deux langages différens. Il est facile de prévoir que la langue nouvelle prévaudra peu à peu ; c’est déjà la seule qu’on emploie pour écrire.

L’antique poésie n’a pas échappé à cet entraînement, et la Grèce possède aujourd’hui sa poésie classique et sa poésie populaire, La première est encore trop directement inspirée des œuvres de nos poètes qui écrivaient au temps de la guerre de l’indépendance, Casimir Delavigne avant tous ; la rime est adoptée avec faveur. La poésie populaire au contraire comprend les chants qui se sont transmis d’années en années dans la mémoire des hommes, ou ceux qui sont composés dans le dialecte vulgaire. Dépourvue de science et d’apprêt, elle est l’expression naïve, quelquefois brutale, de sentimens toujours vrais et non empruntés. On devine, en entendant réciter par un vieux Grec ces chants jeunes, vigoureux, empreints d’une harmonie sauvage, quels hommes les ont composés et dans quelles circonstances terribles la seule inspiration les leur a dictés. Ce sont pour la plupart des chants de klephtes ou des cris de guerre des héros de l’indépendance, ou bien des tragoudia, chansons d’amour, sur un rhythme tendre et plaintif, gracieuses et touchantes comme une page de Daphnis et Chloé. Bien rarement le vin reçoit les honneurs de la poésie populaire en Grèce, et plus d’un voyageur s’en étonne ; c’est que, trop oublieux du délicat Anacréon, le peuple est devenu sobre et ne boit que de l’eau. On trouve encore des légendes sur les saints ou sur quelques personnages fabuleux de la mythologie, longues rhapsodies dont l’harmonieuse cadence rappelle les plus beaux passages de l’Odyssée ; mais déjà ces pièces, si précieuses aux philologues qui cherchent aujourd’hui à reconstituer l’histoire de la langue grecque au moyen âge, sont perdues. dans les provinces, et le seraient pour tous sans les infatigables recherches que les savans de toutes les nations ont faites et font encore dans les bibliothèques des anciens monastères. Il ne reste plus guère aujourd’hui dans la mémoire des paysans et des bergers que des fragmens sans cesse remaniés d’anciennes poésies, quelques tragoudia et des chants de klephtes.

Quelquefois le vulgaire voit juste, dit Horace, et l’enthousiasme du peuple grec le prouve une fois de plus. Les klephtica sont vraiment restés populaires comme ils méritaient de l’être ; les plus igno-