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une femme française, lui échappait de plus en plus. Dès son enfance, elle s’étonnait de ses « opiniâtretés de Nassau ; » le Nassau était devenu complet. « Mon fils ne danse plus que des allemandes ; vous n’avez jamais rien vu tant sur la gravité ; je pense qu’il a appris cela en la Germanie. » Elle était seule ; le prince Maurice, plus taciturne que son père, ne mêlait aucune tendresse au respect qu’il lui portait. Peut-être ne lui pardonnait-il pas d’avoir peu encouragé le projet qu’il avait eu un moment de mettre la couronne sur sa tête. Maurice, quand il n’était pas à la guerre ou ne jouait pas aux échecs, allait voir « sa dame, » qui vivait paisiblement avec ses deux petits enfans.

Un moment, la princesse s’amusa de la-folie du comte d’Egmont, qui osa lui parler d’un troisième mariage. C’était le fils de l’illustre victime des Espagnols. « Il est plus fou que jamais. Il s’est proposé un voyage aux Indes, là où il dit qu’il sera receu roi, a fait déjà toutes les lois de son royaume, donné toutes les charges et offices. Il ne lui manque qu’une femme. Sans vanité, si j’y voulais entendre, je crois bien que je serais la première refusant ce beau royaume imaginaire. » Louise de Coligny n’avait jamais été régulièrement belle, mais elle avait le plus grand air. Un portrait peint par Miereveld la montre avec un bonnet de veuve à la Marie-Stuart, un col montant, les cheveux relevés et crêpés ; l’œil est cerné, timide et un peu défiant ; le nez long, et nettement tracé, rappelle M. l’amiral ; la bouche fine, sinueuse, ébauche un sourire ; au menton délicat, on devine l’absence de grande force ; les lignes du visage sont onduleuses ; l’ensemble produit une impression presque douloureuse. La figure est belle en son ensemble, mais la destinée l’a, pour ainsi dire, trop modelée ; elle y a mis trop souvent sa marque et son irréparable trace. Pourtant animez cet œil doux et fin par la vie, ouvrez ces lèvres pour le discours, éclairez d’un rayon ce costume sévère, et vous aurez une femme qui avait encore de quoi plaire et même séduire.

La princesse d’Orange retourna à Paris en 1605 : sa belle-fille, la duchesse de la Trémoille, venait de faire un riche héritage par la mort du comte de Laval, Guy de Coligny, mort célibataire. La princesse écrit à sa fille : « Il est besoin que vous donniez ordre de bonne heure à recueillir cette belle et grande succession ; et je crois que la première chose que vous devez faire c’est d’écrire au roi, pour le supplier de vous commander comment il plaît à sa majesté que vous vous gouverniez en cette affaire. » Tous les protestans se réjouirent de voir les La Trémoille entrer dans de grands biens. Henri IV avait toujours eu du goût pour la duchesse ; « c’est une bonne femme, disait-il à M. de Loménie, je voudrais bien que Mme de Bouillon lui ressemblât, elle disposerait mieux son mari