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marquise de Verneuil, bien qu’elle sache que la duchesse de Bouillon s’en inquiète. Elle est pour ses deux filles une mère toujours tendre, sensée, pleine d’indulgence, mais on devine que de nouveaux sentimens ont pris la place de ceux que le vicomte de Turenne lui avait autrefois inspirés.

Le duc de Bouillon apportait dans la politique le même esprit tracassier que dans sa famille. Il est rare que l’on juge bien ses contemporains, surtout ceux qu’on a connus pauvres, désespérés, à qui l’on a prêté un secours qu’on a cru nécessaire. Bouillon ne voyait dans le Béarnais qu’un apostat et un ingrat ; il semble étrange pourtant qu’il n’ait pas été entraîné par la grandeur familière de ce roi dont les paroles émeuvent encore aujourd’hui tout cœur français, « Il ne faut plus faire de distinction de catholiques et huguenots, mais il faut que tous soient bons Français. » Cette politique n’était pas comprise de Bouillon, et pendant la fin de son séjour en France la princesse d’Orange eut le chagrin de le voir mêlé plus qu’il ne fallait aux intrigues de Biron. Elle quitta la France à la fin de 1602 pour retourner à La Haye. Après l’exécution de Biron, le roi, persuadé que Bouillon était en intelligence avec lui, lui commanda de venir le trouver ; Bouillon fut alarmé : il alla se présenter à Castres, devant la cour de justice destinée à ceux de la religion, et prit acte de sa comparution. Le roi entra dans une grande colère : il fit venir Duplessis-Mornay, qui le calma. Pouvait-on croire que Bouillon, qui avait peu d’années auparavant négocié en Angleterre et en Hollande un traité de ligue offensive et défensive contre l’Espagne, fût maintenant en alliance avec les ennemis de la religion ? Le prince Maurice, en apprenant l’accusation portée contre Bouillon, s’exprimait avec la plus grande énergie sur la « queue » de la conspiration de Biron. « Il déplore infiniment, écrivait M. de Buzenval, l’ambassadeur de France, à M. de Villeroy, le malheur de ce sien allié, encore qu’il se soit rendu incapable d’être plaint et à plus forte raison d’être aydé et assisté des siens. » Bouillon s’était décidé à sortir de France : il passa par Genève et se retira à Heidelberg, chez son beau-frère, l’électeur palatin. M. de Buzenval écrivait à M. de Villeroy : « Je vous avais dit dans ma dernière qu’il n’y avait pour lors aucunes nouvelles ny lettres de M. de Bouillon depuis son arrivée à Heidelberg ; mais trois jours après on a receu du 8e de ce mois, non M. le prince Maurice ny MM. les états, mais seulement Mme la princesse d’Orange qui me les a communiquées. C’est une lettre de complimens, par le style de laquelle il est aisé à juger qu’il ne luy escrit pas confidemment comme il a fait autrefois. Il dit que c’est la première princesse étrangère à laquelle il ait rendu ce devoir depuis sa disgrâce, comme n’ayant eu d’autre but que de faire paraître son innocence par le peu de recherche de ses amis et