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ardent, les yeux et les mains élevés au ciel : « Mon Dieu, dit-elle, donne-moi le don de la patience, et de souffrir selon ta volonté la mort de mon père et de mes deux maris, tous trois assassinés devant mes yeux. » Ne faut-il voir dans ces lignes qu’un mouvement d’éloquence d’un historien, très exact pourtant et très digne de foi, ou la malheureuse jeune femme vit-elle réellement de quelque fenêtre, à la lueur des torches, tuer et son père et son mari ? Nous l’ignorons. On ne connaît même pas exactement les détails de la mort de Téligny. « Le sieur de Téligny, — écrit l’auteur du Tocsain des massacreurs, la relation la plus détaillée de la Saint-Barthélémy, — lequel pour sa beauté, bonne grâce et savoir, fut espargné de plusieurs qui néanmoins avoient charge de le tuer ; mais enfin, s’étant retiré en son grenier, fut meurtri avec aucuns gentilshommes qui s’y étaient sauvés[1]. »

Au moment du massacre, la nouvelle femme de l’amiral était à Châtillon ; sa grossesse avancée ne lui avait point permis de suivre son mari à Paris. Mme de Téligny alla la rejoindre, et quelques jours après les deux veuves allèrent chercher un asile en Suisse, où elles n’arrivèrent pas sans courir de grands périls.

L’amirale demanda au duc de Savoie la permission de retourner dans ses états. Philibert-Emmanuel refusa d’abord de la recevoir ; puis, sur les instances de la comtesse d’Entremonts, mère de l’amirale, il lui permit d’aller habiter son château de Saint-André de Briord. Mme de Téligny fut rejointe à Berne par MM. de Châtillon et d’Andelot. Elle alla ensuite avec ses frères retrouver à Bâle son cousin, M. de Laval, et sa famille. Dans une lettre du 25 avril 1573, elle remercie en noble langage les « puissans et magnifiques seigneurs » de Berne pour l’accueil bienveillant qu’elle a reçu en Suisse avec ses frères après la Saint-Barthélémy.

Deux mois après, le 10 juin 1573, elle leur écrit une nouvelle lettre pour intercéder en faveur de l’amirale, devenue la prisonnière de Philibert-Emmanuel. On peut trouver étrange que Mme de Téligny, qui n’avait encore que dix-huit ans, ait dû étendre sa protection sur sa belle-mère ; elle parle modestement à ces messieurs de Berne au nom d’une a famille qui a été nourrie en une affection régulière au bien et au service de leur estat. » Qu’était-il donc arrivé à l’amirale ? Le duc Philibert-Emmanuel, qui la considérait toujours comme sa sujette, l’avait mise sous la garde de la comtesse d’Entremonts, mais à peine arrivée au château qui devait lui servir de demeure, elle quitte sa mère, part avec son jeune enfant, avec quatre gentilshommes, et se dirige vers le Mont-Cenis pour franchir les Alpes et aller à Turin. Elle fut arrêtée au pied du col, on

  1. Le Tocsain des massacreurs, p. 77. Reims 1677.