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la guerre à l’Espagnol ; déjà l’on avait fait des ouvertures à Louis de Nassau, qui traitait au nom du prince d’Orange. Les villes des Flandres étaient lasses de l’avarice et de la cruauté de leurs maîtres étrangers ; le roi devait mettre Coligny à la tête d’une grande armée. Si la guerre avait une heureuse issue, la France garderait tout le pays entre la Picardie et Anvers, la Hollande, la Zélande et la Frise resteraient au prince d’Orange. Huguenots et catholiques confondraient encore une fois leur sang au service de la France, comme ils l’avaient fait au siège du Havre.

Ces nobles pensées remplissaient Coligny quand il se rendit à Paris pour assister aux noces du roi de Navarre et de Marguerite de Valois. Téligny était heureux de montrer sa jeune femme à la cour ; au milieu des danses, des tournois, des fêtes, le roi Charles IX les accablait des témoignages de sa dangereuse affection. Le voile ne tomba même pas des yeux de Téligny le jour où l’amiral fut blessé en trois endroits d’une arquebusade tirée par une fenêtre. Le roi feignit une grande colère, et alla voir Coligny accompagné de la reine-mère, de ses frères et d’une suite nombreuse. « Le roi, lit-on dans les Mémoires de Coligny[1], à l’abord demanda qu’on fit sortir de la chambre tous les gens de l’amiral hors Téligny et sa femme.» Le roi et la reine-mère voulurent voir et toucher la balle de cuivre qu’on avait extraite d’une des blessures ; le roi demanda à l’amiral s’il avait beaucoup souffert quand on lui avait coupé le doigt. L’entretien fut long, affectueux, par momens solennel, quand l’amiral fit allusion à l’affaire des Flandres. Le roi insista pour donner une garde à l’amiral. Les huguenots, le roi de Navarre, le prince de Condé, voulaient emmener l’amiral hors de Paris, malgré la gravité de son état ; Téligny se fâcha contre eux : « c’était faire injure au roi de révoquer en doute sa parole et sincérité[2]. » Quelques gentilshommes demandèrent à passer la nuit pour garder l’amiral. Téligny les remercia courtoisement. Il rentra lui-même un peu avant minuit avec sa femme en son logis, qui joignait celui de l’amiral.

Louise de Coligny ne devait plus revoir son père : la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois donna, peu d’instans après qu’elle l’eut quitté, le signal de l’horrible massacre. On connaît tous les détails de la fin de l’amiral, on sait moins bien comment périt Téligny. Jean de La Pise, qui raconte dans son Histoire d’Orange l’assassinat de Guillaume le Taciturne, dit en parlant de sa femme : « Quasi mourante en l’excès de sa douleur, elle invoque Dieu qui la fortifie, adresse sa prière au Tout-Puissant, et à voix gémissante, à cœur

  1. Mémoires de l’admiral de Chastillon, p. 136.
  2. Mémoires de Coligny, p. 150.