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assez fréquemment le nom de la princesse d’Orange dans les mémoires et les lettres de Duplessis-Mornay, dans quelques livres du même temps ; mais la science historique n’a été mise que très récemment en possession de documens originaux relatifs à la fille de Coligny. M. Paul Marchegay a publié en 1872, dans le Bulletin de la Société du protestantisme français, soixante-huit lettres de cette princesse, qui sont à Thouars, dans le riche chartier de M. le duc de La Trémoille. Le Bulletin donna en 1873 deux lettres adressées par elle aux « illustres et magnifiques seigneurs de Berne. » Nos archives nationales possèdent une partie des lettres, très longues et très intéressantes, qu’elle a adressées à Henri de La Tour, vicomte de Turenne, qui devint duc de Bouillon. Ces lettres inédites nous seront d’un précieux secours dans la tâche que nous avons entreprise de rejeter comme un pâle rayon sur une Française du xvie siècle.


I.

Il n’est pas étonnant de trouver chez les religionnaires du xvie siècle des familles assez nombreuses pour qu’on puisse les nommer bibliques. Gaspard de Coligny, universellement connu sous le nom de l’amiral, eut de sa première femme Charlotte de Laval huit enfans. On avait alors, et l’on a conservé dans tous les pays protestans, l’habitude d’inscrire dans des livres de piété les naissances et les morts. On garde en Hollande un précieux livre d’Heures, imprimé en 1500, qui des mains de Louise de Montmorency était passé dans celles de son second mari, le père de l’amiral, et qui fut depuis continué par l’amiral lui-même. Il y mentionne les dates de son mariage avec Charlotte de Laval et de la naissance de tous ses enfans. Louise vint au monde à Châtillon-sur-Loing, le 27 septembre 1555.

Charlotte de Laval mourut en 1568, quand Louise de Coligny n’avait encore que treize ans ; elle avait atteint seize ans quand l’amiral se remaria à La Rochelle avec Jacqueline d’Entremonts, veuve de Claude de Bastarny du Bouchage, baron d’Anthon en Dauphiné, qui avait péri dans l’armée catholique à la bataille de Saint-Denis.

Le second mariage de l’amiral avec une jeune veuve de trente ans n’était sans doute pas de nature à plaire à Louise. Jacqueline d’Entremonts était une riche héritière, elle possédait de nombreux fiefs dans la Bresse, le Dauphiné et la Savoie. Le duc de Savoie était son suzerain : il l’avait vue à regret épouser un seigneur dauphinois ; il s’opposa formellement à son mariage avec le puissant amiral. Coligny cherchait-il à se créer un abri sur les frontières de Savoie ? La volonté de l’homme le plus énergique ne peut-elle résister aux professions d’amour d’une femme ? Coligny fut-il surtout touché