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sur les défiances étrangères, ce « statut » où un prince bien inspiré et des libéraux sensés voyaient un moyen de refaire par la monarchie constitutionnelle, par une politique de réparation nationale ce que les révolutions et les révolutionnaires venaient de perdre.

Un des plus énergiques auxiliaires de cette politique réparatrice et du ministère d’Azeglio était Cavour. Aux élections démocratiques qui avaient renversé Gioberti au mois de janvier 1849, il avait été exclu du parlement comme réactionnaire ou codino ; les exaltés l’avaient fait échouer en lui opposant une obscure nullité du nom de Pansoya, — un Barodet du temps, — qui n’a dû son illustration d’un jour qu’à cette étrange aventure. Aux élections suivantes, après Novare, il redevenait l’élu préféré de sa ville natale, de Turin ; il rentrait dans la chambre pour n’en plus sortir désormais, et maintenant dans cette situation nouvelle il prenait rapidement une autorité croissante, justifiée et confirmée par la décision clairvoyante qu’il n’avait cessé de montrer depuis un an, par l’esprit politique qu’il portait en tout, par une supériorité qui s’imposait dans les affaires d’économie publique et de finances. C’était, après comme avant la crise, un simple et franc constitutionnel, n’ayant que de l’antipathie ou du dédain pour les hâbleries et les impuissances révolutionnaires, défendant le gouvernement surtout aux momens difficiles du lendemain de Novare et jusqu’à la paix qui ne fut définitive qu’au mois de janvier 1850 ; mais en même temps, qu’on ne s’y trompe pas, Cavour ne cessait point d’être le libéral actif et hardi, acceptant le « statut » avec toutes ses conditions, avec ses garanties et ses conséquences. En soutenant le ministère, il le stimulait et le devançait souvent : il devenait par degrés le chef, le leader sinon de la majorité conservatrice avec laquelle il marchait, du moins de la fraction libérale de cette majorité. Il n’était point d’humeur à faire de la politique conservatrice en partisan de l’immobilité ou de la réaction, et il ne tardait pas à montrer que chez lui le modéré, le parlementaire grandissant se confondait avec l’homme d’état fait pour le pouvoir et pour l’action.

Les occasions ne manquaient pas, elles naissaient de la politique de tous les jours, de l’application même du système constitutionnel qui remettait incessamment les partis aux prises. Une des conséquences les plus simples de ce régime était évidemment la suppression des juridictions privilégiées, des immunités ecclésiastiques dans l’administration de la justice. C’était si simple que les hommes les plus religieux, les plus conservateurs de la droite, comme le comte Balbo, le comte de Revel, amis du ministère, ne mettaient point eux-mêmes le principe en doute ; ils auraient voulu seulement qu’on négociât avant tout avec le saint-siège.