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la péninsule, il ne faut point désespérer de l’avenir. Tant que le Piémont gardera ses institutions à l’abri du despotisme et de l’anarchie, il y aura un moyen de travailler efficacement à la régénération de la patrie. »

Le « statut, » rien de plus, rien de moins, c’est avec cela que Massimo d’Azeglio entrait au pouvoir après Novare, appelant à son aide des hommes modérés et patriotes comme lui, le comte Siccardi, le Vénitien Paleocappa, le banquier Nigra, le général Alfonso de la Marmora qui, en réduisant avec autant d’habileté que de promptitude la démagogie génoise, venait de rendre un service national. L’œuvre n’avait, à vrai dire, rien de facile ; elle avait à triompher de la confusion et de l’irritation des partis, des inexpériences parlementaires, de toutes les difficultés intérieures et extérieures. La paix était la première des nécessités, et, en la subissant, en la négociant, d’Azeglio donnait l’exemple du patriotisme résigné, d’une abnégation courageuse. Cette paix évidemment ne pouvait être que dure ; elle ramenait le Piémont aux traités de 1815, et elle lui infligeait une contribution de guerre de 75 millions de francs qui allait peser lourdement sur son budget. Elle n’avait après tout rien d’humiliant et elle était nécessaire. Chose étrange cependant ! les partis se faisaient un triste jeu de marchander avec cette nécessité, de refuser leur concours au risque de tout perdre. Deux fois le gouvernement se voyait réduit à dissoudre la chambre, et la dernière fois le roi lui-même était obligé de faire directement appel à la raison du pays par cette proclamation de Moncalieri qui, sous une apparence de coup d’état, était encore un acte de prévoyant libéralisme. « Ces messieurs ne voient donc pas, disait tristement d’Azeglio, que le ministère a déjà bien à faire à soutenir la constitution, — et qu’après nous les Croates !… »

Ce n’était pas la seule difficulté. Au moment où le Piémont prétendait rester constitutionnel, la réaction triomphait de toutes parts en Europe. La liberté piémontaise ressemblait à une anomalie ou à un péril au milieu des restaurations absolutistes qui s’accomplissaient en Italie, à Rome comme à Florence, comme à Milan. L’Autriche s’efforçait de signaler Turin comme un dernier foyer incendiaire. L’empereur de Russie déclinait tout rapport avec le nouveau roi de Sardaigne. En France même, les partis conservateurs qui venaient de rétablir le pape à Rome semblaient regarder comme un trouble-fète, comme un tapageur importun, ce régime constitutionnel d’outre-mont qui avait la prétention étrange d’accomplir quelques réformes civiles ou religieuses. Partout le Piémont rencontrait l’hostilité ou la réserve, de sorte qu’il y avait réellement à conquérir jour par jour sur l’Autriche, sur les partis intérieurs,