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genre plus pratique et j’oserai presque dire plus moderne dans son action. Agriculteur et homme du monde, il s’efforçait à sa manière de réveiller le sentiment des intérêts publics. Il était toujours prêt à chercher un moyen de passer à travers le réseau de surveillance que maintenait un gouvernement jaloux. Il était un des fondateurs de la « Société agraire piémontaise » dont il avait rédigé les statuts, qui suscitait une multitude de comices où, sous prétexte d’agriculture, se répandait et s’aiguisait l’esprit de discussion. Avec le comte de Salmour et quelques autres de ses amis, il naturalisait en Piémont l’institution populaire des salles d’asile. Avec le marquis Alfieri, le comte Pralormo, qui représentaient ce qu’on pourrait appeler le côté libéral du gouvernement, il créait à Turin, sous le nom inoffensif de « Société du whist, » une sorte de club de la noblesse piémontaise, une réunion où les hommes s’accoutumaient à se rencontrer, à échanger leurs idées. Il sentait le besoin de « faire quelque chose, » de donner une forme précise à une activité dont la police finissait par s’inquiéter et lorsque, provoqué par ses amis de Genève ou excité par le réveil croissant des intelligences au-delà des Alpes, il se mettait, lui aussi, à prendre une plume, quels étaient les sujets qu’il choisissait de préférence ? Il s’attachait à des questions d’économie publique, d’industrie agricole, de finances. Il parlait des Voyages agronomiques de M. de Châteauvieux ou des conditions de l’Irlande, des « fermes-modèles, » ou des « doctrines communistes, » des « chemins de fer en Italie, » ou de « l’influence des réformes commerciales anglaises. »

Tout cela était écrit en français, d’un style net, facile et dégagé, sans phraséologie littéraire, par un observateur évidemment au courant de tous les problèmes économiques, épris des grandes réformes dont il saluait la réalisation victorieuse en Angleterre, qu’il rêvait déjà de voir transportées et appliquées en Italie. Était-ce un économiste ? Il l’était à sa manière comme il était agriculteur, en homme qui s’est toujours servi de tout sans s’asservir à une théorie ou à une spécialité, pour qui la science des lois de la production et l’expérience de l’agriculture restaient des élémens utiles, nécessaires, mais subordonnés de l’art de gouverner. A travers tout, dans ces premières pages d’un écrivain de bonne volonté sur des questions en apparence spéciales, le politique éclatait spontanément en quelque sorte, faisant d’un système de chemins de fer un instrument de transformation nationale pour l’Italie ou du libéralisme économique le prélude du libéralisme des institutions. L’homme se dévoilait tout entier par ses jugemens, par ses idées et par ses préférences.

Qu’on réunisse tous ces traits : ils forment, si je ne me trompe,