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nation. La division entre les classes, la guerre civile, voilà les conséquences inévitables de son introduction, sans compter, dans un avenir lointain peut-être, mais certain, l’intervention de quelque puissance étrangère peu scrupuleuse qui s’en ferait un instrument de domination en s’appuyant sur les prosélytes indigènes. Enfin, dans la dernière partie, le critique essaie d’établir les preuves métaphysiques du dogme bouddhiste et de donner une explication rationnelle de la cosmogonie japonaise, mais il se perd dans le domaine des hypothèses; nous ne l’y suivrons pas.

Malgré la rapidité avec laquelle nous avons passé en revue cet essai d’un caractère évidemment sincère et d’un ton généralement modéré, on peut se rendre compte des obstacles insurmontables que rencontre ici le christianisme. Non-seulement il se heurte à la vieille théorie shintoïste latente au fond des âmes, qui repousse énergiquement le péché originel, mais il trouve en face de lui une religion organisée, appuyée sur des dogmes suffisamment mystérieux pour frapper l’esprit des foules, sur un code très précis de morale, sur une théorie complète de la vie, en possession du pays, des lois, des mœurs. Il ne s’agit pas là seulement, comme dans l’Europe du IVe siècle, de balayer un amas confus de superstitions grossières ayant perdu leur sens primitif, mais de combattre un système complet. Tout milite contre lui, la simple profession de foi est déjà une rébellion, et l’on ne saurait répéter avec trop d’insistance que la moindre désobéissance est une tache, une souillure. Le Japonais subordonne la voix de sa conscience à la loi, son Dieu à son empereur. Une hérésie, une innovation défendues lui semblent une félonie et lui en laissent les remords.

Parvînt-il à vaincre ce préjugé, le christianisme verrait se dresser un bien autre adversaire : c’est le scepticisme, qui descend ici jusqu’aux classes inférieures et règne en maître absolu dans les autres. La doctrine de Bouddha, si on ne va pas jusqu’au fond, ressemble fort à une négation du divin; celle de Confucius relègue Dieu dans le domaine des suppositions; elles ont formé des âmes peu crédules et surtout peu religieuses. Le Japon a vieilli dans une sorte d’athéisme dissimulé sous un culte éclatant. Les esprits se sont accoutumés à se contenter d’une contemplation froide et sans élan devant une divinité inaccessible, indéfinissable, impersonnelle; l’enthousiasme ne les pénètre pas, ils ne peuvent ni le concevoir ni le sentir. Cet amour mystique de Dieu, cette aspiration ardente du cœur inassouvi vers un être suprême et compatissant, qui ont peuplé les solitudes de l’Egypte et fait retentir notre moyen âge, ne trouvent pas d’écho et n’excitent que stupéfaction. Le penseur désenchanté, déshabitué de toute illusion, n’en cherche pas de nouvelle, et, — libre des perplexités de l’imagination, des accès de doute et de foi