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trois provinces, maintenant j’en ai cinq ; mon trésor était vide, il est plus considérable que celui d’aucun de mes rivaux; je n’avais pas d’enfans mâles, le ciel m’a accordé un fils; tout m’a réussi depuis qu’ils sont chez moi. Quels bienfaits semblables ai-je reçus de vos dieux, tant que je les ai servis? » A l’appui de cette réponse, le prince faisait raser plusieurs temples et brûler quelques couvens, donnant par cette marque de son zèle, ajoute l’écrivain ecclésiastique, une preuve évidente de sa foi et de sa charité.

Ce qui est certain, c’est que la nouvelle religion devint le lien politique des feudataires qui luttaient contre le pouvoir central que Taïko-Sama et ses successeurs s’efforçaient de concentrer dans leurs mains. Le nom de chrétien devint synonyme de rebelle, et les shogoun, devenus maîtres de l’aristocratie, ne voulurent pas laisser grossir ce ferment de discorde. Le christianisme menaçait de former un état dans l’état ; l’idée d’un pape étranger, suzerain du monarque, qui était lui-même le grand-pontife de sa nation, révoltait l’esprit japonais ; aussi le clergé bouddhiste, qui aurait pu vivre en bonne intelligence avec une foi moins éloignée de la sienne qu’on ne pourrait le croire, menacé dans ses intérêts les plus immédiats, se jeta dans la lutte avec fureur et se trouva assez puissant pour susciter l’ouragan qui devait emporter l’église.

En 1587, il fut enjoint à tous les jésuites de quitter le Japon. Dès ce jour, l’arrêt de mort de l’église japonaise était prononcé. Les persécutions commencèrent contre les prosélytes indigènes : des femmes de la cour furent exilées; un daïmio fut contraint d’abjurer. Une inquisition politique sans fanatisme, mais sans scrupule, s’en i)rit aux fidèles eux-mêmes ; les transportations et les exécutions diminuèrent rapidement le nombre des chrétiens. La barbarie des persécuteurs augmentait avec la constance des fidèles. Enfin 40,000 infortunés, derniers représentans de l’église du Japon, réfugiés à Shimabara en 1638, y périrent massacrés par les troupes du shogoun Yeyas, aidées des canons hollandais, emportant avec eux pour longtemps et peut-être pour toujours les dernières espérances de la religion chrétienne au Japon.

Telle fut l’éclosion éphémère du christianisme au Japon. En soixante ans, il avait germé, grandi, s’était épanoui sur ce sol, qu’il eût pu féconder peut-être, et s’était effeuillé pour disparaître absolument sans laisser après lui ni traces de son passage ni héritiers de ses traditions. On ne peut assez déplorer le zèle maladroit qui discrédita l’Évangile par ses violences et menaça des torches de la guerre religieuse un pays las de trois siècles de guerre civile et affamé de repos. Présenté comme une simple croyance spirituelle, le dogme n’eût pas rencontré de résistance dans une nation assez indifférente en pareille matière, et sa morale, voisine de celle