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traditions, des pratiques du culte, des coutumes de la famille, se forme un héritage que les générations se transmettent, un fonds de vagues croyances ou d’habitudes superstitieuses qu’on observe machinalement, sans les juger ni même y réfléchir.


IV.

On ne peut essayer de tracer un tableau de la religion au Japon sans réserver une place à l’épisode sanglant qui a caractérisé le passage du christianisme. Quoique la propagande catholique n’ait pas laissé de vestiges dans les mœurs, son histoire intéresse doublement les contemporains, qu’elle peut éclairer d’une part sur l’aptitude des Japonais à embrasser et à conserver la foi de l’Évangile, d’autre part sur la haine que son souvenir éveille au fond des cœurs. Nulle part ses conquêtes n’ont été plus rapides, et nulle part moins durables; après avoir fait des prosélytes par centaines de mille, elle a disparu en quelques années sans laisser derrière elle un monument, une secte organisée, un symbole, car on ne peut compter pour tels les traditions vagues et défigurées qui surnagent dans la mémoire de quelques habitans de Nagasaki, descendans plus ou moins avérés des anciens chrétiens. La persécution, qui n’a ait ailleurs que fortifier l’église, est parvenue ici à la détruire.

Les jésuites, depuis longtemps établis à Macao et investis par les bulles papales du droit exclusif d’apostolat dans toute cette partie du monde, firent leur apparition au Japon en 1549, conduits par les premiers aventuriers portugais. C’étaient, à la vérité, de singuliers parrains que ces écumeurs de mer. L’ignorance complète de la langue du pays et la nécessité de recourir à une prédication mimique ne rebutèrent pas le zèle des missionnaires, qui réussirent à s’établir après quelques tâtonnemens. Les discordes qui déchiraient l’empire des dieux leur offrirent une occasion de s’étendre. On vit bientôt les églises s’élever à la place des tera incendiés. En 1582, les pères comptaient 150,000 indigènes et deux cents églises gouvernées par trente-neuf d’entre eux ou par des novices japonais; mais l’esprit de l’inquisition avait pénétré avec les ministres, et les persécutions suivaient quand elles ne précédaient pas les conversions. Le Japon ne connaissait pas l’intolérance, on la lui apprit. Funeste exemple qui devait se retourner contre ceux qui l’avaient donné!

Avec la propagande s’était introduit le commerce, avec les bienfaits de la religion ceux du trafic. C’est ce que laisse clairement entendre le discours d’un daïmio, le prince de Bungo, aux bonzes qui se plaignaient d’être abandonnés. « Allez, leur disait-il, voilà treize ans que ces bons pères sont parmi nous; à leur arrivée, j’avais