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dieux japonais; comme le sénat enfermait au Capitole les dieux des provinces conquises, il les débaptisa et les adopta. Amatéras devint Amida; du héros Yamato, on fit Hachiman, dieu de la guerre; les légendes cosmogoniques et la mythologie furent habillées à la façon indienne. Cette doctrine de transaction se répandit rapidement. Aujourd’hui toutes ces idoles vivent côte à côte, adorées quelquefois dans le même temple par des prêtres d’ordres différens et confondues dans un même culte par une population insouciante et ignorante de leur origine. L’esprit public ne fait pas entre eux plus de distinctions qu’un habitant du Latium n’en devait faire entre Vénus mère des Romains, Minerve fondatrice d’Athènes et Bacchus conquérant de l’Inde, tous enfans d’un même père nés sous des cieux différens. C’est en effet dans la classe populaire, toujours prompte à confondre dans une idée générale des notions d’origines diverses, que l’on est amené à étudier les manifestations extérieures de la religion. Il serait inutile de les suivre parmi les classes nobles qui ne forment qu’une faible minorité, et qui sous une enseigne généralement bouddhiste sont vouées au scepticisme pur.

Quoique les statistiques de l’empire relèvent 128,000 mya shintoïstes contre 98,000 tera bouddhistes, on se tromperait en attribuant aux adhérens du premier culte la majorité numérique. Leurs sanctuaires ne sont la plupart du temps que de petites chapelles où quelquefois l’on ne peut même pas entrer, perdues dans un bosquet solitaire ou à un carrefour de chemin, vides et abandonnées; il faut d’ailleurs tenir compte de la tendance des statisticiens du gouvernement à grossir le chiffre des partisans de la religion qu’il encourage. On aura une idée plus exacte en comparant le nombre des prêtres bouddhistes signalés par le même document, — 75,000, plus 37,000 novices, — avec celui des desservans de mya ou kannushi, qui se borne à 20,000. Quant au recensement individuel, il serait difficile de le faire : beaucoup de gens interrogés auraient peine à dire exactement à quelle catégorie ils appartiennent. En réalité, sous des dénominations diverses, c’est l’idolâtrie indienne qui règne. La doctrine de Sakya s’est altérée et corrompue en grandissant; elle n’est arrivée au Japon que suivie d’un imposant cortège de divinités secondaires, auxquelles il faut ajouter des saints, des apôtres restés célèbres par leur sagesse et leur piété. Une religion toute spirituelle dans l’esprit de son fondateur s’est déformée, en pénétrant chez des races vouées au fétichisme, sous l’action de cette tendance universelle des peuples à matérialiser leur idéal. De même que le christianisme, en se propageant chez les barbares au moyen âge, y a rencontré des superstitions dont il a longtemps porté et laborieusement effacé l’empreinte, le bouddhisme a été superstitieusement