Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une autre foi. Ils sont passionnés pour la controverse, poussent aux dernières limites l’intolérance du langage contre leurs adversaires et recourent plus que tous les autres aux charmes, aux amulettes et aux pratiques superstitieuses.

Ces diverses écoles vivent dans la plus complète mésintelligence et sur le pied d’un mépris réciproque, mais sans essayer en fait de se persécuter ni même de se disputer des catéchumènes, que l’indifférence générale rend de plus en plus rares. Elles vivent irréconciliables, mais elles vivent en paix. Leur caractère commun, c’est de placer la voie du salut dans certaines pratiques dévotes plutôt que dans le mérite ou le démérite. Les membres de ce clergé fractionné jouissent d’une réputation universelle d’immoralité; ils se distinguent les uns des autres par des noms et des costumes différens; bien peu comprennent les mystères de la religion qu’ils représentent. Ceux qui attirent le plus l’attention, à part les yama-bushi, dont on verra plus loin l’occupation, sont les prêtres mendians, qui vont de porte en porte tendre leur éventail pour qu’on y dépose une petite aumône. Autrefois leur ordre était le refuge des malfaiteurs; la tête couverte d’une sorte de panier renversé, ils n’avaient à craindre ni la honte qui s’attache à la mendicité, ni surtout les regards gênans de la police; mais l’usage de cette coiffure leur a été interdit, et leur nombre a du même coup sensiblement diminué. Il existe aussi de véritables moines, vivant dans des couvens, où ils subsistent par la générosité des princes et risquent fort à ce prix de ne pas subsister longtemps. Les femmes ont aussi quelques congrégations; une statistique relève 6,000 nonnes; elles sont rarement de haute extraction, se consacrent à la prière et non aux œuvres de charité. Le monastère est pour beaucoup de femmes malheureuses en ménage un asile où elles vont attendre que le mari leur accorde la lettre de divorce.

Il n’est pas besoin de faire remarquer combien le bouddhisme a dégénéré depuis son fondateur. Ce qui était une revendication de l’âme contre la tyrannie des réalités terrestres est devenu une doctrine d’anéantissement volontaire et d’affaissement intellectuel; les préceptes de haute morale, d’examen de soi-même ont cédé la place à des observances compliquées et puériles. Les jeûnes et les préjugés sur l’impureté de certaines substances, qui pouvaient avoir leur motif sous le soleil des Indes, ont pris une place prépondérante et sont devenus matière de foi, en cessant d’être observés comme de simples règles d’hygiène. Les rites ont remplacé les maximes. Un culte surchargé de cérémonies insignifiantes a envahi la pensée religieuse et l’a, pour ainsi dire, pétrifiée dans d’étroites formules. La superstition des masses et l’ignorance des prêtres ont fait le reste, et l’une des plus hautes aspirations spiritualistes s’est abîmée