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journalières, demandent plus de loisirs que n’en possède le vulgaire. À cette sagesse si noble et si pure, il manque le souffle vivifiant et enthousiaste qui a répandu dans tout l’univers un livre moins savant, écrit par de pauvres fils de pêcheurs et de charpentiers, la charité. Le philosophe, suivant Confucius, est impeccable, inaltérable, sublime, mais froid et insensible; sans doute il doit se montrer bienveillant, surtout quand il est assis sur le trône, mais ce ne sera que pour remplir un office de la vie, non pour satisfaire une affection intime et maîtresse. « Aimez-vous les uns les autres! » Cette parole, que le monde latin, aussi las de ses vertus égoïstes que de ses vices, attendait depuis des siècles, Confucius ne l’a pas dite, le monde oriental ne l’a pas encore entendue, et qui sait s’il n’est pas trop tard pour la lui faire entendre !

L’enseignement moral des écoles chinoises ne pouvait, malgré toute sa grandeur, détrôner une religion qui, tout incomplète qu’elle fût, répondait mieux au besoin de surnaturel qui domine toujours les masses. Il se répandit à la cour, dans les écoles, éloigna beaucoup d’esprits des superstitions grossières du passé et fut l’origine du scepticisme religieux des hautes classes; mais il ne forma pas un schisme à côté et en dehors du shinto. D’ailleurs il ne prétendait rien changer ni à la religion établie, ni à la police de l’état; le respect des traditions, des ancêtres, des pouvoirs constitués, est l’un de ses traits saillans. L’empereur reste aux yeux des philosophes comme aux yeux des croyans la représentation visible de la divinité sur la terre; lui obéir fait partie des cinq devoirs, et l’on doit non-seulement rendre à César ce qui est à César, mais s’incliner avec vénération devant ses volontés. La libre pensée chinoise s’arrête confondue devant la majesté du trône; il n’y a pour elle d’autre souveraineté terrestre que celle du maître. Le peuple, il est vrai, doit être traité comme une famille par un père tendre; mais, en fils respectueux, il doit toujours et en tous cas obéir. Malgré cette attitude inoffensive, les rares sectateurs de la « voie » inspirèrent quelque ombrage lors des persécutions dirigées contre les chrétiens au XVIIe siècle; leurs principes sévères et plus encore leur indifférence pour les cérémonies des divers cultes les rendaient suspects de christianisme et les faisaient confondre avec les adeptes de cette religion détestée; on les forçait à garder chez eux, comme preuve d’orthodoxie, quelques-uns des emblèmes de la religion officielle; peu à peu leur nombre diminua sous l’empire de la crainte; aujourd’hui les livres de Confucius et de Mencius sont encore enseignés dans les écoles, mais sans plus d’efficacité que les dialogues de Platon ou les traités de Xénophon dans nos lycées.

Comme la doctrine de Confucius, le bouddhisme n’est parvenu au Japon que par l’intermédiaire de la Chine, vers le milieu du VIe siècle.