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parvenues jusqu’à nous. En 681, l’empereur Temmu résolut de faire de toutes les histoires conservées dans les diverses familles une vaste compilation destinée à former les annales du pays. Il y avait parmi ses gens une femme douée d’une mémoire extraordinaire, à qui on eut la précaution de faire apprendre par cœur tous ces récits. L’empereur étant mort avant que cette compilation ne fût écrite, son entreprise fut abandonnée pendant vingt-cinq ans. C’est au bout de ce temps seulement que l’impératrice Gemmio fît écrire sous la dictée de la vieille servante l’histoire dont sa mémoire était restée seule dépositaire. Telle est l’origine du Kodjiki, le plus ancien document écrit sur la religion et l’histoire.

Le shin-to ou la voie des dieux, nom tiré du chinois, qu’on a donné postérieurement au culte indigène pour le distinguer des croyances étrangères, semble, comme le polythéisme antique, avoir son origine dans l’adoration d’abord du soleil, puis successivement des grandes forces de la nature personnifiées. C’est là l’idée générale qui ressort des fables confuses qui en constituent la théogonie. Avant la naissance des choses, il n’existait rien que l’espace infini où vivaient à l’état de purs esprits des dieux invisibles qui n’ont d’autre réalité que celle des songes, et ne sont représentés que par des noms métaphoriques : le maître du ciel, le fils du ciel et de la terre, le fils des dieux. Ces dieux s’engendraient d’une manière mystérieuse et surnaturelle; la durée de leur gouvernement dépasse tout ce que l’esprit peut concevoir. Alors, au milieu de l’espace, surgit une chose indéfinissable, suspendue comme un nuage, d’où perça une forme semblable à une corne ou à une jeune pousse de roseau, qui ensuite s’accrut et s’étendit démesurément; ce fut le ciel. Puis une seconde forme se dessina à son tour et se trouva, par la suite incommensurable des temps, être la lune. Cependant sept générations de dieux se succédèrent par couple mâle et femelle sans commerce entre eux, et aboutirent enfin à Izanagi et Izanami, les derniers représentans de l’âge purement divin. Les célestes époux n’imitèrent pas la continence observée par leurs prédécesseurs : un jour qu’ils se tenaient sur le pont aérien situé entre le ciel et les eaux (où l’on croit reconnaître la voie lactée), l’idée leur vint de sonder la profondeur des mers; le dieu y plongea sa lance, et les gouttes qui en tombèrent quand il la retira formèrent une île (Awadsi) où ils descendirent, et qui fut le théâtre des premières amours terrestres. L’idylle qui s’ensuivit rappelle par ses détails naïfs l’embarras des héros de Longus. La déesse Izanami mit d’abord au monde un fils si mal fait qu’il fut, comme Vulcain, abandonné de ses parens et jeté à la mer, où il se sauva sur une barque et devint le compagnon des pêcheurs qui le recueillirent; puis elle eut une série d’enfans qui furent les huit grandes îles de l’empire japonais;