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plus de luxe et de réalité minutieuse dans les architectures, les étoffes et les dorures. Il y introduisit surtout le plein air, la vue des campagnes fleuries, des lointains bleuâtres. Enfin ce que son frère avait maintenu dans les splendeurs du mythe et sur des fonds byzantins, il le fit descendre au niveau des horizons terrestres.

Les temps sont révolus. Le Christ est né et mort. L’œuvre de la rédemption est accomplie. Voulez-vous savoir comment plastiquement, non pas en enlumineur de missel, mais en peintre, Jean Van-Eyck a compris l’exposé de ce grand mystère? le voici : une vaste pelouse toute émaillée de fleurs printanières ; en avant, la Fontaine de vie, un joli jet d’eau retombant en gerbes dans un bassin de marbre ; au centre, un autel drapé de pourpre, et sur l’autel un Agneau blanc, immédiatement autour, une guirlande de petits anges ailés, presque tous en blanc, avec quelques nuances de bleu pâle et de gris rosâtre. Un grand espace libre isole l’auguste symbole, et sur ce gazon non foulé il n’y a plus que le vert sombre des frondaisons épaisses et par centaines l’étoile blanche des pâquerettes des prés. Le premier plan de gauche est occupé par les prophètes agenouillés et par un groupe abondant d’hommes debout. Il y a là tous ceux qui, croyant d’avance, ont annoncé le Christ, et aussi les païens, les docteurs, les philosophes, les incrédules, depuis des bardes antiques jusqu’à des bourgeois de Gand; barbes épaisses, visages un peu camards, lèvres faisant la moue, physionomies toutes vivantes; peu de gestes, des attitudes; un petit résumé en vingt figures du monde moral, après comme depuis le Christ, pris en dehors des confesseurs de la nouvelle foi. Ceux qui doutent encore hésitent et se recueillent, ceux qui avaient nié sont confondus, les prophètes sont dans l’extase. Le premier plan de droite, juste en pendant, — et avec cette symétrie voulue sans laquelle il n’y aurait plus ni majesté dans l’idée ni rhythme dans l’ordonnance, — le premier plan de droite est occupé par le groupe des douze apôtres agenouillés et par l’imposante assemblée des vrais serviteurs de l’Évangile, prêtres, abbés, évêques et papes, tous imberbes, gras, blêmes et calmes, ne regardant guère, sûrs du fait, adorant en toute béatitude, magnifiques en leurs habits rouges, avec leurs chasubles d’or, leurs mitres d’or, leurs crosses d’or, leurs étoles lissées d’or, le tout emperlé, chargé de rubis, d’émeraudes, une étincelante bijouterie jouant sur cette pourpre ardente, qui est le rouge de Van-Eyck. Au troisième plan, loin derrière l’Agneau, et sur un terrain relevé qui va conduire aux horizons, un bois vert, un bocage d’orangers, de rosiers et de myrtes tous en fleurs ou en fruits, d’où sortent, à droite, le long cortège des Martyrs, à gauche, celui des Saintes femmes coiffées de roses et portant des palmes. Celles-ci, habillées de couleurs tendres, sont toutes