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discours. Il est peut-être un peu long, ce discours royal; mais dans son ensemble il est du meilleur ton, il a l’accent de la jeunesse confiante, de la bonne volonté et de la franchise; il est l’expression d’une politique de patriotisme et de libéralisme. Le roi Alphonse parle de tout simplement, sans dissimuler les difficultés et les embarras, sans blesser les opinions dissidentes, invitant les partis à ne pas trop s’occuper du passé, à renoncer aux récriminations pour concourir ensemble à l’œuvre de pacification et de reconstitution si nécessaire à l’Espagne. Il met dans cette œuvre son devoir comme son point d’honneur, et c’est en vérité avec une parfaite bonne grâce qu’il ajoute que c’est aussi le devoir de tous. « La nation fatiguée, épuisée, appauvrie, le demande instamment, dit-il, et le monde entier, moins ému que scandalisé de la durée insolite de nos maux, l’attend avec impatience. » Maintenant que vont faire les chambres espagnoles? Elles ont devant elles un travail aussi difficile que délicat, des lois politiques destinées à compléter l’organisation de la monarchie constitutionnelle, des mesures financières qu’on ne peut éluder. Une majorité considérable est sans doute acquise au gouvernement, au ministère, particulièrement à la politique de M. Canovas del Castillo. Cette majorité cependant se compose de fractions diverses, de modérés et de libéraux de toutes les dates, de tous les régimes, qui peuvent se diviser, et là est toujours le danger. Pour le moment, les deux chambres espagnoles ont commencé par se constituer. La chambre des députés a choisi pour président M. Posada Herrera, un ancien ministre de l’union libérale, avec le général O’Donnell, homme de savoir et d’expérience. Le sénat de son côté s’est donné comme président M. Garcia Barzanallana, qui, lui aussi, est un ancien ministre du dernier règne, un politique exercé. La vie parlementaire va donc renaître au delà des Pyrénées, et pendant que s’accomplissait à Madrid cette restauration du régime constitutionnel, l’armée était déjà de toutes parts en plein mouvement pour en finir avec la guerre carliste. Le jeune roi, aussitôt après avoir ouvert les chambres, est parti lui-même pour le nord, désirant prendre part aux fatigues de ses soldats et assister, comme il l’a dit, à la « prompte conquête de la paix. »

Depuis quelques jours en effet, la campagne contre les carlistes a été vigoureusement et rapidement conduite. L’armée libérale est désormais au cœur des provinces du nord, où elle n’avait pas pénétré depuis trois ans, et on comprend aujourd’hui comment l’insurrection a tenu si longtemps, comment aussi il n’y avait que de la prévoyance à ne rien risquer légèrement, à ne vouloir engager la lutte à fond qu’avec des forces suffisantes, avec une armée réorganisée et retrempée.

La vérité est que, dans ces provinces du pays basque et de la Navarre, don Carlos était depuis trois ans non comme un chef d’insurgés, mais comme le maître d’un royaume indépendant séparé de l’Espagne. Il