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REVUE DRAMATIQUE

L’ÉTRANGÈRE, comédie en cinq actes, par M. A. Dumas fils.

Quand on a écrit le Demi-Monde, il n’est pas facile de se surpasser, et assurément la pièce que M. Dumas vient de donner au Théâtre-Français n’est pas son chef-d’œuvre ; mais c’est peut-être le tour de force le plus prodigieux qu’ait exécuté celui des auteurs dramatiques de ce temps qui se joue avec le plus d’aisance des difficultés de son art, et dont la malice paraît se complaire de plus en plus à braver le public, à l’irriter, à le faire cabrer, à mater ses révoltes, à lui escamoter son bon sens, à lui faire avaler des énormités, à le berner, et, pour employer le mot de la chose, à le mettre dedans. L’Étrangère, dira-t-on, n’a remporté qu’une victoire contestée et douteuse : ce demi-succès est un triomphe, si l’on considère les résistances que l’auteur a dû vaincre, et combien était hasardeuse la partie qu’il a gagnée, quels périls il a courus, les ressources qu’il a déployées, les artifices dont il s’est avisé et l’étonnante dextérité de sa main. Une intrigue cahotante et décousue, des inventions qui tiennent du mélodrame plus que de la comédie, des bizarreries, des extravagances, une exposition qui languit et traîne durant trois actes, des personnages dont aucun ne nous intéresse et ne se recommande à nos sympathies, des monologues, des dissertations, des récits interminables, des tirades de trois cents lignes, en faut-il davantage pour faire tomber une pièce ? Et cependant celle-ci, quoi que nous en ayons, s’impose à nous ; elle fait en quelque sorte violence à notre attention. Quand l’ennui et la lassitude commencent à s’emparer de nous, un trait qui part comme une fusée nous réveille en sursaut. Quand les dissertations et les dissertateurs nous excèdent, nous sommes repris tout à coup par une scène forte, puissante, où nous reconnaissons la science et l’habileté d’un maître. Au moment où la toupie se ralentit, se balance, oscille et va donner du nez en terre, un vigoureux coup de fouet bien appliqué la fait repartir et tourner de plus belle. En vain notre bon sens proteste et s’indigne ;