Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mac-Closky croyait toucher sa fille en faisant allusion à certaines enveloppes de bonbons, aussi sucrées que leur contenu, qui lui étaient fréquemment offertes, mais elle ne répondit que par une moue dédaigneuse ; elle avait pour les chimères de l’imagination le mépris qui caractérise les jeunes animaux en bonne santé.

— Seulement, je ne te conseille pas de lui parler de ses poésies. Il y a vingt minutes à peine que, croyant lui être agréable, je lui ai dit, après avoir monté la boîte à musique et mis devant lui un flacon de liqueur : « Maintenant, camarade, fais comme si tu étais chez toi, récite-moi ce que tu crois être ton œuvre la plus remarquable. » Là-dessus, il est entré dans une rage !..

— Très bien, je descendrai, mon père, dit Jenny après réflexion.

La figure de Mac-Closky rayonna. — Tu as toujours été une bonne fille, s’écria-t-il en fléchissant le genou pour déposer un baiser sur son front. — Jenny le saisit par les poignets et le tint un instant captif sous l’investigation profonde de ses beaux yeux d’un gris sombre et limpide à la fois.

— Père, dit-elle, toutes les jeunes filles qui étaient ce soir chez les Robinson avaient quelqu’un pour les accompagner, une mère, une sœur aînée, une tante, toutes, excepté moi… — Sa lèvre trembla un peu, et elle baissa la tête. — Mon bon père, je voudrais que maman ne fût pas morte quand j’étais si petite… — Sa voix s’éteignit dans un sanglot étouffé.

M. Mac-Closky cependant paraissait fort occupé à tracer sur le lit des dessins fantastiques. — Il n’y a pas une fille au monde qui ne donnerait père et mère pour être à ta place. Quant à la mère en particulier, ma chère, laisse-moi te dire que peut-être tu es mieux sans elle. — Il se leva brusquement et marcha vers la porte. Arrivé là, il se retourna, sourit et disparut la tête la première.

Quand M. Mac-Closky rentra dans le salon, son hôte n’y était plus. Le flacon de liqueur restait intact sur la table, deux ou trois volumes jonchaient le plancher, un paquet de photographies représentant les principaux points de vue des sierras s’éparpillait sur le divan, un journal et une couverture mexicaine avaient été jetés de ci et de là, indiquant que l’on avait essayé de lire dans la position horizontale. Une porte-fenêtre grande ouverte montrait le chemin qu’avait dû prendre le fugitif. M. Mac-Closky poussa un soupir de désespoir, il regarda le magnifique tapis qui à Sacramento avait coûté un prix fabuleux, les meubles de satin cramoisi, toutes les richesses sans pareilles dans les annales de Tuolumne qui d’habitude inspiraient aux visiteurs un respect presque craintif. L’effet en avait donc été nul cette fois ; tant de luxe n’avait pu retenir l’homme indomptable qui au moment même fumait un cigare sur la route illuminée