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deux mains croisées sous sa tête et cherchant une position plus commode sur l’oreiller. — Il m’a encore demandé la même chose, mon père, et j’ai dit oui. Je suppose que tout est pour le mieux, n’est-ce pas ? — Et elle décocha un petit coup de pied à travers les couvertures à Mac-Closky, qui paraissait plongé de nouveau dans les plus profondes réflexions.

— Assurément, dit-il en revenant à lui. — Au bout d’une minute : — Ne te serait-il pas possible, si je t’en priais, de rentrer dans ces habits-là ? reprit Mac-Closky en regardant de nouveau les deux chaises et se frottant le menton du même geste anxieux.

— Quelle idée !

— Oh ! pas dans tous, je ne te demande pas de rentrer dans tous… les plus indispensables seulement, vois-tu ! Jenny, ajouta Mac-Closky, — il tourmentait toujours sa barbe, usée d’un côté par ce tic déplorable, — Jenny, — et de l’autre main il caressait la couverture, — voici ce qui en est : il y a un étranger en bas, c’est-à-dire que c’est un étranger pour toi, chérie, mais moi je le connais depuis longtemps. Il est venu ce soir, après ton départ, et il attend pour s’en aller la diligence de quatre heures. Ce que je te demande, ma fille, c’est de descendre m’aider à lui faire passer le temps.

— Est-ce que…

— Je devine ce que tu vas me dire, interrompit le père en levant la main comme pour repousser ses interruptions ; mais c’est inutile, tout est inutile avec ce garçon-là. Il ne veut pas jouer aux cartes, le whisky n’a pas d’effet sur lui. Je l’ai toujours vu ainsi : incapable de jouer ni de boire, toujours à charge par conséquent à son entourage.

— Alors pourquoi l’attirez-vous ici ? demanda Jenny avec humeur.

Les paupières de Mac-Closky retombèrent sur ses yeux inquiets. — Que veux-tu ? il s’est détourné de son chemin pour me rendre service, et il ne vient pas souvent, tu sais ; sans cela je ne me serais pas permis de te déranger, mais j’ai pensé que, puisque je ne pouvais rien faire de lui, tu en viendrais à bout, toi, comme tu viens à bout des autres.

Miss Jenny haussa les épaules. — Est-il jeune ?

— Il n’est pas vieux, mais il en sait plus long que bien des anciens.

— Qu’est-ce qu’il fait ?

— Pas grand’chose. Il a de l’argent dans le moulin de Four-Forks[1], il voyage beaucoup, il écrit… des vers, dit-on, des devises peut-être…

  1. Moulin à quartz pour l’exploitation de l’or.