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formes ; cependant le plan même et le parti-pris architectural méritent qu’on s’y arrête. C’est un exemple très-complet et admirablement conservé d’un chapitre fortifié. L’enceinte est encore intacte, quatre grosses tours en poivrière aux angles gardent l’approche, et, les portes fermées, ce lieu devait être facile à défendre. On a choisi pour élever le monument une éminence dont les abords sont encore dégagés et forment la place du Chapitre, qui a un assez bel aspect. Chaque époque a laissé sa trace dans ces constructions ecclésiastiques ; la fortification et la cathédrale m’ont paru du XVe siècle ; plus tard, au XVIe au XVIIe et au XVIIIe siècle, on a fait des additions et quelques changements sans toucher à l’enceinte, dont le cachet primitif a été respecté.

Mais ce n’est pas par le côté extérieur que la ville d’Agram s’impose à l’attention du voyageur ; si nous ne voyons dans cette ville que la capitale de la Croatie, les Yougo-Slaves, eux, voient dans leur Zagreb (c’est le nom slave d’Agram) la capitale du royaume tri-unitaire formé par la Croatie, la Dalmatie et la Slavonie avec les confins militaires, l’âme du corps dont les membres sont épars de Klagenfurth à Témesvar et d’Antivari à Salonique, la capitale idéale enfin d’un état yougo-slave à fonder sur les bords de l’Adriatique. C’est le centre de résistance des Slaves d’Autriche contre les empiétements des Magyares, les prétentions des Italiens et la germanisation de ces provinces : personne ne lui conteste cette autorité morale. Ce royaume tri-unitaire n’existe plus de fait, malgré certaines concessions encore accordées dans les protocoles ; mais Agram, siège de la diète croate, avec son académie, son université, qui a affranchi les Yougo-Slaves des universités allemandes, son école de droit, sa société littéraire, sa société d’histoire et d’archéologie nationale, a substitué au mouvement politique un mouvement intellectuel, philosophique et moral. La ville est le centre ardent et actif de cette production littéraire, qui entretient le feu sacré de la grande idée chez les Slaves du sud. L’histoire, la poésie, la philologie, l’archéologie, tendent à l’affirmation de la nationalité et à son développement. Fondation de recueils périodiques et de journaux quotidiens, subsides donnés aux savans, missions littéraires et archéologiques, encouragemens aux artistes, tels sont les moyens d’action dont la société slave de la ville sait user avec un esprit de propagande pratique, d’autant plus ingénieux et d’autant plus sûr qu’elle se place là sur un terrain où elle échappe à toute répression et à toute persécution politique. L’imprimerie est son plus puissant levier. Il est impossible d’ailleurs de ne pas être frappé du développement que la presse locale a acquis à Agram depuis quelques années. Quinze journaux se publient dans la ville, et