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veut faire admirer Dieu par sa création, et louer l’artiste par la perfection de son œuvre. Si ce monde est une vallée de larmes, comme il n’est que trop vrai, il est bien permis au moins, ne fût-ce qu’en manière de consolation, de remarquer que les lignes en sont souvent heureuses et que les fleurs qui y poussent ont souvent de de l’attrait pour les yeux, et la consolation sera encore assez chétive. Il y a enfin de la galanterie dans Fléchier, et il y en a même beaucoup; mais ce n’est qu’une preuve qu’il possédait une des qualités les plus essentielles chez un prêtre, c’est-à-dire l’onction, car qui donc n’a remarqué à quel point cette qualité nommée onction, toute faite de suavité et de tendresse, et qui demande à être pétrie dans les baumes les plus exquis du langage, est proche parente de la galanterie?

Ce qui prêterait plus sérieusement à la controverse, c’est le caractère particulier de la religion que laisse entrevoir Fléchier et qu’on peut hardiment lui attribuer sans crainte de calomnie. Cette religion toute de lumière, purement abstraite et morale, n’a rien pour les sens et l’imagination charnelle. Elle fait visiblement bon marché de toute la partie légendaire, traditionnelle, miraculeuse de la dévotion populaire. Ce sont là choses que Fléchier ne critique pas, auxquelles il ne contredit pas, qu’il ne réfute pas, mais qu’il nomme avec un sourire, et qui visiblement ne lui sont de rien. Il en est de même des pratiques de la dévotion conventuelle dont il fait, toutes les fois qu’il les rencontre sur sa route, des peintures dont rien n’égale le badinage tempéré et la discrète ironie. Quelles jolies pages que son tableau des vingt De profundis simultanés et discordans de l’église des cordeliers et sa description plaisante des mauvaises peintures du cloître des dominicains ! quelles silhouettes finement enlevées que celles du père capucin rencontré à Vichy, et du frère jacobin trop crédule aux histoires miraculeuses en l’honneur de son ordre! Ce sont là des pages auxquelles Voltaire aurait applaudi sans aucun doute, et cependant on se tromperait grossièrement, si l’on voulait y voir une marque anticipée de l’esprit du XVIIIe siècle. Tout cela pour Fléchier est badinage inoffensif, de même que ces pratiques sont des bizarreries extérieures qui ne sont pas identifiées à l’essentiel de la religion, et cette religion pour Fléchier c’est un christianisme spiritualiste, quelque peu cartésien, qui porte bien le signe de l’esprit du XVIIe siècle. La religion de Fléchier, comme sa prose, appartient à ce que le XVIIe siècle eut en somme de meilleur. Eh! sans doute, ce n’est pas là tout le christianisme, mais c’est bien celui des esprits cultivés de son temps et de son pays, et nous ne nous étonnons point de ne pas le trouver moins philosophique et plus imaginatif. Qui donc, cherchant dans les peintures de Poussin et de Lesueur la figure de la religion, serait assez naïf pour s’étonner