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Je n’en vois pas une seule qui puisse être signalée comme un morceau de choix. Ce qui saute aux yeux, c’est qu’il existe entre elles des disproportions que rien ne motive, et dans chacune d’elles des insuffisances et pour ainsi dire un embarras de les caractériser que rien ne justifie. Le capitaine est trop grand et le lieutenant trop petit, non pas seulement à côté du Capitaine Kock, dont la stature l’écrase, mais à côté des figures accessoires, dont la longueur ou l’ampleur donnent à ce jeune homme assez mal venu l’air d’un enfant qui porterait trop tôt des moustaches. A les considérer l’un et l’autre comme des portraits, ce sont des portraits peu réussis, de ressemblance douteuse, de physionomie ingrate, ce qui surprend de la part d’un portraitiste qui en 1642 avait fait ses preuves, et ce qui excuse un peu le capitaine Kock de s’être adressé plus tard à l’infaillible Van der Helst. Le garde qui charge son mousquet est-il mieux observé? Que pensez-vous également du porte-mousquet de droite et du tambour? On pourrait dire que les mains manquent à tous ces portraits, tant elles sont vaguement esquissées et peu significatives en leur action. Il en résulte que ce qu’elles tiennent est assez mal tenu : mousquets, hallebardes, baguettes de tambour, cannes, lances, hampe de la bannière, et que le geste d’un bras est avorté quand la main qui doit agir ne l’achève pas nettement, vivement, soit avec énergie, soit avec précision, soit avec esprit. Je ne parlerai pas des pieds que l’ombre dérobe pour la plupart. Telles sont en effet les nécessités du système d’enveloppe adopté par Rembrandt, et tel est l’impérieux parti-pris de sa méthode, qu’un même nuage obscur envahit les bases du tableau et que les formes y flottent, au grand détriment des points d’appui.

Faut-il ajouter que les costumes sont comme les ressemblances, vus à peu près, tantôt baroques et peu naturels, tantôt rigides, rebelles aux allures du corps. On dirait d’eux qu’ils sont mal portés. Les casques sont mis gauchement, les feutres sont bizarres et coiffent sans grâce. Les écharpes sont à leur place et cependant nouées avec quelque maladresse. Rien de ce qui fait l’élégance naturelle, la désinvolture unique, le négligé surpris et rendu sur le vif des ajustemens dont Frans Hals sait revêtir tous les âges, toutes les statures, toutes les corpulences et certainement aussi tous les rangs. On n’est pas plus rassuré sur ce point que sur beaucoup d’autres. On se demande s’il n’y a pas là comme une fantaisie laborieuse, comme un souci d’être étrange qui n’est point aimable et n’est pas frappant. Quelques têtes sont fort belles, j’ai signalé celles qui ne le sont pas. Les meilleures, les seules où se reconnaissent la main du maître et le sentiment d’un maître, sont celles qui, des profondeurs