Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ménagées. Nul emploi de clair-obscur, c’est le plein air d’une chambre très éclairée et également. De là des trous entre les tons que rien ne relie, des souplesses quand les valeurs et les couleurs naturelles s’appuient l’une sur l’autre au plus près, des duretés quand l’accord est plus distant. Un peu de système. Je vois très bien ce que notre école actuelle en conclut. Elle a raison de penser que Hals reste excellent, malgré ce parti-pris accidentel; elle aurait tort si elle estimait que sa grande science et ses mérites en dépendent. Et ce qui pourrait l’en avertir, c’est le numéro 57, 1633. — Hals a quarante-sept ans. Voici dans ce genre éclatant, à clavier riche, son œuvre maîtresse et tout à fait belle, non pas la plus piquante, mais la plus relevée, la plus abondante, la plus substantielle, la plus savante. Ici, pas de parti-pris, nulle affectation de placer ses figures hors de l’air plutôt que dans l’air, et de faire le vide autour d’elles. Rien n’est éludé des difficultés d’un art qui, s’il est bien entendu, les accepte et les résout toutes.

Peut-être, prises individuellement, les têtes sont-elles moins parfaites que dans le numéro précédent, moins spirituellement expressives. A cela près d’un accident qui pourrait être la faute des modèles autant que celle du peintre, comme ensemble le tableau est supérieur. Le fond est noir, et par conséquent les valeurs sont renversées. Le noir des velours, des soies, des satins, y joue avec plus de fantaisie; les lumières s’y déploient, les couleurs s’en dégagent avec une largeur, une certitude et dans des accords que Hals n’a jamais dépassés. Aussi belles, aussi sûrement observées dans l’ombre que dans la lumière, dans la force que dans la douceur, c’est un charme pour l’œil de voir ce qu’elles ont de richesse et de simplicité, d’en examiner le choix, le nombre, les nuances infinies, et d’en admirer la si parfaite union. La partie gauche en plein éclat est surprenante. La matière en elle-même est des plus rares : pâtes épaisses et coulantes, fermes et pleines, grasses et minces suivant les besoins, facture libre, sage, souple, hardie, jamais folle, jamais insignifiante. Chaque chose est traitée selon son intérêt, sa nature propre et son prix. Dans tel détail, on sent l’application, tel autre est à peine effleuré. Les guipures sont plates, les dentelles légères, les satins miroitans, les soieries mates, les velours plus absorbans; tout cela sans minutie, sans petites vues. Un sentiment subit de la substance des choses, une mesure sans la moindre erreur, l’art d’être précis sans trop expliquer, de tout faire comprendre à demi mots, de ne rien omettre, mais en sous-entendant l’inutile; la touche expéditive, prompte et rigoureuse; le mot juste, et rien que le mot juste, trouvé du premier coup et jamais fatigué par des surcharges; pas de turbulence et pas de superflu; autant de goût que dans Van-Dyck,