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dépêches secrètes et aux articles anonymes : si le prince sacrifie la Grèce, c’est qu’il a des vues sur l’Angleterre. Écoutez, voici le trait final, le trait empoisonné qu’il enfonce le plus naturellement du monde et d’un air innocent : « Peut-être la résolution de votre altesse royale doit-elle être attribuée à d’autres motifs puisés dans ses relations d’Angleterre. Votre altesse a renoncé à une carrière périlleuse, difficile, riche en aventures ; la voilà désormais engagée dans le combat des partis, elle verra de près leurs luttes, leurs intrigues pour s’emparer du pouvoir. » Le baron de Stein est persuadé que ces visées équivoques sont la seule explication de ce qu’il appelle la reculade du prince, et s’il lui en parle directement, il en dira bien plus à ses amis. Voici ce qu’il écrit le 15 juin 1830 à l’archevêque de Cologne : « Que dit votre grandeur de la conduite du prince Léopold ? Elle répond tout à fait au caractère du Marquis Peu à Peu, comme l’appelait le roi George IV. Au lieu d’écarter les difficultés, au lieu d’achever l’entreprise qu’il a commencée, il retire lâchement sa main du timon de la charrue, parce qu’il compte sur les changemens qu’amènera la mort du roi. Un homme de ce caractère flasque n’est pas fait pour marquer jamais la vie publique d’une vigoureuse empreinte. C’est un être sans couleur. » Le lendemain il écrit à M. de Gagern : « Le prince Léopold avait le sentiment de sa faiblesse, de son impuissance à faire triompher l’entreprise ; alors il a jeté un regard de côté sur son influence possible en Angleterre. Cette influence, il ne l’aura jamais à cause de sa pusillanimité, et en tout cas, dès que la princesse Victoria sera majeure, c’est-à-dire dans six ou sept ans, il la perdra. »

Ainsi décidément l’accusation a fait le tour de l’Europe. En Angleterre, en Russie, en France, en Allemagne, tous les personnages politiques, hommes d’état ou publicistes, sont d’accord sur les motifs qu’ils prêtent au prince Léopold : si le prince a renoncé au trône de Grèce, c’est qu’il visait à la régence d’Angleterre. On aurait pu, il est vrai, examiner la chose avec plus de soin, on aurait pu faire une remarque bien simple que nous suggèrent aujourd’hui les notes de Stockmar, c’est que cette grande ambition était singulièrement modeste. La régence d’Angleterre ! Était-il donc certain qu’il y aurait lieu de nommer un régent ? George IV allait mourir ; mais lui mort, son successeur était là. Entre George IV et sa nièce, fille du duc de Kent, il y avait un autre fils de Georges III, le duc de Clarence, celui qui a régné en effet sous le nom de Guillaume IV. Guillaume, duc de Clarence, était l’aîné du duc de Kent ; la fille du duc de Kent, la jeune princesse Victoria, n’arrivait comme héritière de la couronne qu’après son oncle Guillaume. Je sais bien que ce duc, l’héritier présomptif du trône d’Angleterre, avait déjà