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Charlotte si universellement regrettée, le prince Léopold se fera donner la régence par le parlement. Il aime mieux être régent d’Angleterre, même pour un petit nombre d’années, que de fonder le royaume de Grèce ; il sera donc régent avant peu, et ce jour-là les whigs arriveront au pouvoir, les whigs ses anciens alliés, les défenseurs de la princesse de Galles, les amis de la princesse Charlotte, les whigs qui l’auront aidé à s’emparer de la régence. On devine quelles colères une pareille découverte devait soulever dans le monde des tories. Il est probable que le ministère Wellington, en abandonnant la candidature du prince des Pays-Bas pour se rallier à celle du prince Léopold, avait vu là une occasion excellente d’éloigner un personnage qui pouvait un jour lui causer de l’embarras. Le dépit d’une combinaison déjouée, la crainte d’un événement qui donnerait la victoire aux whigs, surtout le mécontentement de voir les affaires de Grèce replongées pour longtemps peut-être dans le chaos du provisoire, tous ces motifs réunis entretenaient chez les membres du gouvernement anglais une irritation très vive.

Les choses que nous venons de dire, racontées par les ministres, commentées par les plénipotentiaires, faisaient grand bruit dans les salons politiques de Londres. Les tories s’indignaient, les whigs approuvaient. Bientôt ces prétendues explications, faites en termes injurieux pour le prince Léopold, furent connues de toutes les chancelleries de l’Europe. On en trouve la trace dans un grand nombre de dépêches politiques. Le 28 mai 1830, huit jours seulement après le désistement du prince Léopold, le prince de Liéven, qui représentait la Russie à la conférence de Londres, écrivait à son gouvernement : « Jusqu’ici toute la correspondance du prince avait été rédigée en français, et probablement par lui-même, ou tout au plus avec l’aide de son médecin et conseiller intime M. Stockmar ; mais sa dernière note, rédigée en anglais et par une plume évidemment plus exercée, démontre que ses vues en Angleterre l’ayant fait dès longtemps renoncer à la Grèce, il a déjà en cette occasion pris conseil de ses nouveaux alliés. » Ainsi le prince de Liéven n’en doute pas, le prince Léopold a des vues sur l’Angleterre, il vise à la régence avec l’appui des whigs, ce sont les whigs qui, d’une plume très anglaise et très politique, lui ont rédigé la lettre par laquelle il refuse le royaume de Grèce ! Un autre diplomate russe, M. le comte de Matuszevicz, s’exprime sur ce même point avec une violence inouïe. Voici qu’il écrit dans une dépêche où la pesanteur du style semble ajouter encore à la grossièreté du fond : « Le prince Léopold a montré tant d’arrière-pensée, tant de mauvaise foi, tant d’irrésolution, que je suis de ceux qui se félicitent de ne pas le voir chargé du gouvernement d’un pays où il aurait trahi la confiance