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les programmes radicaux, avec des réformes prématurées déchaînant des luttes religieuses, avec des propositions d’amnistie réhabilitant les criminels sans oser dire un mot du crime et des victimes, avec des révolutions financières ébranlant le crédit et les conditions du travail national ? Est-ce qu’on se figure que beaucoup de ceux-là même qui ont proposé ou voté la constitution du 25 février, qui l’acceptent sans arrière-pensée et sans mauvais vouloir, suivraient la. république dans ses aventures ? Supposez un instant une victoire du radicalisme, dans les élections : est-il un esprit sérieux et clairvoyant qui ait un doute sur le résultat, sur la catastrophe qui attendrait la république ? — Assurément, dira-t-on, il n’y a point de doute, le radicalisme est le plus grand ennemi de la république, d’autant plus redoutable qu’il est dans la place, et, s’il prenait une certaine prépondérance, il aurait bientôt frayé le chemin à l’empire par la réaction emportée de tous les instincts conservateurs ; mais il est isolé, il ne peut rien, si ce n’est faire des programmes pour les réunions électorales de Paris où il est le maître. A merveille ! cela veut dire que les radicaux restent libres de faire de Paris ce qu’ils voudront, et qu’ils ne sont des agitateurs provisoirement inoffensifs que parce que la province se charge de réparer ou d’empêcher par ses votes le mal qu’ils pourraient faire.

Les républicains sérieux et sincères, que la passion de parti n’aveugle pas, ne peuvent s’y méprendre ; ils doivent voir aujourd’hui, par l’expérience qu’ils ont acquise, de quel côté ils peuvent s’étendre utilement et gagner des alliés efficaces, de même qu’ils peuvent voir, par les déchaînemens de radicalisme, de quel côté est le danger. Ils ont à choisir : c’est leur affaire encore plus que celle des monarchistes ralliés par raison à la constitution, puisque pour eux le régime actuel est la victoire d’une vieille préférence politique. Plus que d’autres, ils sont intéressés à ne pas laisser confondre leurs idées avec les chimères radicales, à maintenir la force conservatrice du gouvernement, — sous peine de prouver, selon le mot spirituel de M. Thiers, que la république n’est possible que sans les républicains. Le malheur de M. Gambetta notamment est de comprendre le danger et de ne pas aller jusqu’au bout de ses instincts, de ne point à se désavouer résolument ceux qui le traiteraient en ennemi, s’ils n’espéraient pas encore se servir de lui. M. Gambetta joue, en vérité, depuis quelque temps un jeu périlleux où la dextérité ne suffit pas, où il peut tout simplement finir par rester seul avec sa verve méridionale, avec ses longues phrases qui vont de Flandre en Provence. Certainement, quand M. Gambetta est à Lille, il parle avec une intention visible de modération ; il défend la constitution, le sénat, il est pour la politique de transaction, pour le progrès patient et régulier, et il se défend des solutions violentes ou chimériques. D’un autre côté, que pense-t-il de la campagne électorale de