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conquêtes sur le sol en friche de la Silésie. Non content d’appeler des colons sur les terres de la couronne, Frédéric résolut de persuader aux grands seigneurs de fonder des villages sur les vastes territoires mal exploités qu’ils possédaient. Afin de triompher de toutes les résistances, il fit lui-même la propagande de ses idées. Il y mettait beaucoup de chaleur et il aimait à s’imaginer qu’il convainquait tout le monde : le moindre signe d’adhésion lui suffisait pour qu’il crût ou feignît de croire qu’on était de son avis. Un jour, étant à Cosel, il entreprit le comte Posadowski sur la nécessité de faire défricher les forêts silésiennes par des colons. Le comte, adversaire déclaré du projet, gardait un silence prudent, interrompu de loin en loin par quelque « oui » timide, arraché par la politesse et par la déférence. Frédéric n’en demanda point davantage ; quelques jours après, occupé à convaincre un autre interlocuteur, il lui dit qu’il avait eu avec Posadowski une intéressante conversation où il avait gagné l’approbation sans réserves du comte. Celui-ci, à qui l’on rapporta le propos, en fut très effrayé, prévoyant que le compliment royal aurait quelque suite fâcheuse ; en effet, il n’attendit pas longtemps avant de recevoir l’invitation officielle de « présenter un rapport sur ses projets ultérieurs de colonisation. »

Quiconque voulait faire sa cour au roi bâtissait un village sur ses terres. « Je ne puis plus servir comme soldat, écrit un vieux gentilhomme qui quittait le service ; mais je veux, comme vassal, lui prouver mon zèle, car sa volonté sera pour moi jusqu’à la tombe le plus sacré des ordres, » et il fonde une colonie. Appeler des colons, c’était, pour le fermier des domaines, le moyen de se ménager la prolongation d’un bail avantageux, pour le condamné, qui avait quelque forte amende à payer, celui de se libérer honorablement. Un ambitieux souhaitait-il d’ajouter à son nom quelque titre envié, de s’appeler par exemple « monsieur le conseiller secret » : — « Créez un village, » disait Frédéric. A la fin, quand les esprits eurent été bien préparés, il publia un édit resté célèbre en Silésie sous le titre de « très haute déclaration, en vertu de laquelle de nouveaux villages doivent être bâtis aux endroits convenables, avec une large assistance en argent comptant, que sa majesté a très gracieusement résolu d’accorder aux propriétaires de domaines. » — « C’est notre très gracieuse volonté que chacun de nos fidèles vassaux doit bâtir un ou plusieurs villages sur ses terres, s’il se trouve en situation de le faire ; » ainsi commence l’édit, et, pour juger par lui-même si ses fidèles vassaux étaient « en situation » de lui obéir, le roi demandait des renseignemens sur « la grandeur et la situation des forêts qui ne pouvaient être mises en culture que par des colons, sur les clairières qui s’y trouvaient, sur les marais qu’il était possible de dessécher à