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avec la minutie et la patience qu’on emploie pour une figure au repos. Le « morceau » ne convient guère aux figures en mouvement. Il faut qu’elles soient enlevées par des touches vigoureuses sous peine d’être glacées et immobilisées dans leur mouvement. Meissonier prouve que les théories ne sont pas absolues. Malgré le soin excessif de l’exécution, ses chevaux galopent, bondissent et se cabrent avec toute l’apparence de la réalité et de la vie. Encore quelques critiques de détail. Pourquoi ce même type d’Alsacien blond empreint sur toutes les têtes des cuirassiers ? Nous ne savions pas que Napoléon eût appareillé les hommes par escadron selon leur type et la couleur de leurs cheveux, à l’imitation du tsar Paul Ier, qui avait créé le régiment des grenadiers au nez camard. On ne sait de quelle épaule sort le bras du cuirassier placé à l’extrême gauche du tableau. C’est un bras isolé, un bras perdu ! Cette dislocation est peut-être vraie dans la nature, elle est choquante et inexplicable dans un tableau. Le cheval blanc du trompette d’ordonnance, vêtu de jaune, couleur distinctive du collet du 12e cuirassiers, est trop lourd. Il ne fournirait pas une charge. Les manches des tuniques ne sont peintes que par demi-teintes, ce qui leur donne un ton faux. Si les uniformes ne sont pas assez bleus, les cuirasses et les épées le sont trop. Elles n’ont ni les éclairs de l’acier fourbi, ni les tons mats de l’acier graissé. M. Meissonier a d’ordinaire la ton alité locale plus juste.

Tout le bruit qui s’est fait autour du 1807 vient surtout du prix excessif que ce tableau a été payé. Bien des gens admirent dans cette toile les billets de banque qu’elle représente, et s’amusent à calculer le nombre de louis que chaque figure a rapportés à l’auteur. D’autres, — sans parler des envieux, — s’irritent d’un tel prix, se demandant avec raison ce que vaudra un chef-d’œuvre incontesté, d’un maître ancien, si l’on donne 300,000 francs d’un tableau fort discutable d’un peintre encore vivante Dans les ateliers et dans les salons, on discute moins en réalité le talent de l’artiste que la folie ou la sagesse de l’amateur. Le 1807 vaut peut-être 300,000 francs, mais mérite-t-il tout ce tapage ? M. Meissonier n’y montre aucune face nouvelle de son talent, il y apparaît avec ses qualités accoutumées qui, poussées à l’excès, deviennent des défauts ; mais il y reste ce qu’il a toujours été, un peintre de grande manière, quelle que soit la dimension de ses tableaux.


III

La première impression qu’on ressent en entrant à l’exposition des œuvres de Pils est l’étonnement du petit nombre de tableaux