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escadrons prenant déjà le galop de charge, et dans les derniers lointains d’autres escadrons encore arrivant au trot. L’empereur se trouve ainsi au centre d’une sorte d’hémicycle dont la base est formée par les colonnes d’infanterie et de cavalerie, les côtés par les escadrons qui vont ou qui viennent de défiler, le sommet par l’escadron qui passe devant l’état-major. Le mouvement général est presque clairement indiqué. La cavalerie, massée derrière et à la gauche de l’empereur, défile devant lui en faisant un long circuit, et, après le défilé, elle regagne ses cantonnemens en passant à sa droite. Si au contraire il s’agit d’une bataille on ne s’explique rien du tout. Il ne paraît pas douteux en effet que ces cuirassiers vont tourner à la droite de l’empereur et suivre le mouvement des batteries d’artillerie qui les précèdent. Dans ce cas, Napoléon et toute sa garde tournent le dos à l’ennemi. En admettant que les cuirassiers se portent en avant, face au spectateur, que signifient ces cavaliers lancés à fond de train dans la direction diamétralement opposée ? Ils sont donc en fuite. Or M. Meissonier n’a pas voulu mettre une déroute dans l’apothéose de Napoléon, ni personnifier 1807 par un corps de cavalerie française abandonnant le champ de bataille de toute la vitesse de ses chevaux. Les gens bien informés, qui tiennent pour la Bataille de Friedland, nous objecteront qu’il n’y a pas de pièces démontées sur un simple champ de manœuvres, et que les trompettes, dans un défilé, ne sont pas placés sur le flanc des escadrons. Quoi qu’il en soit, tout ceci prouve que, pour être bien comprise, la composition du tableau de M. Meissonier aura besoin d’une longue note dans le livret du prochain Salon. C’est déjà un grave défaut, car, si à composition d’un tableau doit, au point de vue pictural, être agencée selon certains principes traditionnels, le sujet lui-même doit être exprimé d’une façon claire et précise, frapper du premier coup l’esprit du spectateur, de même que l’effet général frappe du premier coup son regard.

Cette réserve faite, on ne saurait que louer l’habileté de la composition. Les trois groupes principaux, les guides, l’état-major, les cuirassiers, sont reliés ingénieusement entre eux par les lignes d’infanterie et de cavalerie des troisièmes et des derniers plans. Aucune place de la toile n’est vide. L’empereur et son état-major, quoiqu’au second plan, restent, par leur position sur une éminence, au centre du tableau, le groupe principal. Ils ne sont pas sacrifiés aux cuirassiers qui occupent cependant le premier plan. C’est sur l’empereur que tout d’abord se jettent les yeux. Un effet très grand naît du magnifique mouvement des cuirassiers opposé au calme souverain de l’état-major, des grenadiers et de l’escorte impériale et à la majestueuse simplicité de l’attitude de l’empereur. La