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l’orgueil britannique il met en toute lumière la grossièreté de l’égoïsme tudesque. Il faut l’entendre énumérer tous les avantages de sa diplomatie. « Le strict accomplissement du plan de conduite que je m’étais tracé eut pour moi ce résultat, que mes collègues furent toujours pleins de bienveillance à mon égard, et que j’échappai au reproche d’avoir cherché profit et honneur sans y être appelé. » — Et la princesse Charlotte, monsieur le docteur ? la femme du prince dont vous prétendez être l’ami si dévoué ? Vous la voyez exposée à de graves périls, vous croyez pouvoir la sauver, et vous ne pensez qu’à vous ! — Cette idée, comme une flèche aiguë, semble atteindre un instant l’épaisse conscience du docteur allemand, il la rejette aussitôt, et, se justifiant avec emphase : « Croyez-moi, s’écrie-t-il, si je m’étais mêlé de cette affaire, où je n’aurais pu être d’aucun secours, tout le monde aujourd’hui tirerait parti de mon intervention : les médecins anglais, la maison du prince, amis, connaissances, le prince lui-même, auraient imputé à la maladresse du docteur allemand un malheur qui semblait impossible. Qui sait ? moi-même peut-être, dans mon hypocondrie, j’aurais cru aux imputations calomnieuses, et ajoutant à la douleur du dehors le tourment intérieur que je me serais infligé, je n’aurais pu en supporter le poids. » Ainsi dans ce malheur, voici une compensation : si la princesse est perdue, le repos du docteur est sauvé.

La princesse Charlotte va donc mourir ? Il faut reprendre son histoire et la suivre jusqu’à la dernière heure. Le médecin de la princesse était le célèbre docteur Baillie, à qui on avait adjoint comme accoucheur sir Richard Croft. Stockmar (nous n’avons pas de parti-pris contre lui, nous le jugeons au fur et à mesure que ses actes nous le font connaître, et la vulgarité de ses sentimens ne nous empêche pas de rendre justice à ses qualités d’observateur), Stockmar nous dépeint sir Richard Croft en 1817 comme un homme qui n’est plus de la première jeunesse, grand, sec, vif, de bonne humeur, ayant plus d’expérience que de savoir et de jugement. D’après le rapport des deux médecins, c’est le lundi 3 novembre 1817, à sept heures du soir, que se manifestèrent les premières douleurs de l’enfantement. Dans la nuit du 3 au 4, bien que les douleurs fussent lentes, tout semblait annoncer que le moment décisif était proche, si bien qu’il fallut mander à la hâte toutes les personnes dont la présence était nécessaire pour constater la naissance de l’enfant royal : les ministres, l’archevêque de Cantorbéry, etc.. Tous étaient arrivés à Claremont vers quatre heures du matin. À dater de ce moment, les douleurs cessèrent. La princesse ne paraissait pas éprouver de défaillance, aucun symptôme anormal ne se déclarait ; seulement le progrès de la délivrance était presque insensible. Cela dura ainsi