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honneurs dus à son rang. Elle refusait toujours de stipuler pour elle, le cas échéant, les mêmes avantages. Ivan attribuait ce refus à un orgueil déplacé, presque insultant pour lui, en tout cas peu fraternel. Le 20 août 1574, il lui écrivait : « Si tu veux que nous te portions grand amour et amitié, avise à la grande affaire. » Dans la même lettre, il recommence ses doléances contre les marchands anglais. Ils sont d’intelligence avec ses ennemis, avec ses traîtres. « Un homme de commerce, dans les pays étrangers, doit s’occuper de ses affaires et non d’espionnage et de brigandage ; plusieurs de tes gens ont mérité de ce chef la peine de mort ; mais, comme nous sommes un souverain chrétien, ne voulant pas verser le sang de ces scélérats, j’ai défendu de les châtier. » Singulier scrupule de clémence chez le Terrible ! En outre il sait que dans les rangs suédois il y a des Anglais qui guerroient contre lui. C’est sur ces points et beaucoup d’autres que portera la mission de Daniel Silvestre à Moscou en 1575. Dans les instructions qui lui sont remises au nom d’Elisabeth, on trouve la liste complète des griefs d’Ivan et les excuses ou explications que leur oppose Elisabeth. Si l’on a exporté de Russie des marchandises prohibées, si l’on a trompé sur l’origine des produits importés, si l’on a fait le commerce de détail en violation des traités qui n’autorisent que le commerce en gros et au détriment des négocians russes, tout s’est fait à l’insu de la reine, à l’insu même de la compagnie, et déjà on y a mis bon ordre. Que des Anglais se soient permis de railler la foi et les rites orthodoxes, qu’ils aient pu s’exposer au danger évident d’irriter un si puissant prince, cela est à peine croyable : des mesures sévères seront prises ; les Anglais ont à célébrer leur culte dans l’intérieur de leurs maisons, paisiblement et conformément aux privilèges octroyés par le cher frère de Moscou. Des bannis, des aventuriers qui ont fui d’Angleterre pour échapper à la vindicte des lois, ont pu se mêler d’intrigues ou prendre du service chez les ennemis d’Ivan ; mais le cas a dû rester isolé. Le tsar a pris pour anglais certains régimens écossais, d’environ 4,000 hommes, qui sont passés au service de Suède. Ces Écossais parlent la même langue que les Anglais, mais ils ont un souverain particulier, et la reine d’Angleterre, de France et d’Irlande n’a pas d’autorité sur eux. La reine supplie son bon frère de considérer que, « si nos sujets apprenaient que nous avons manifesté, même dans un traité secret (or le secret finira toujours par s’éventer), la moindre crainte d’un changement dans leurs dispositions, cela suffirait pour exciter chez eux un si grand mécontentement que notre sécurité en serait atteinte. Nous savons que notre bon frère ne voudrait pas nous exposer à un tel danger. Nous espérons donc qu’il se contentera de notre réponse. »

L’empire de Moscou, malgré son apparente unité sous un