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L’esprit d’agitation se calma, les partis désarmèrent. On se livrait à des paris enthousiastes : sera-ce un prince ? sera-ce une princesse ? Stockmar écrit le 26 août 1817 : « Voilà déjà quelque temps que des sommes énormes sont engagées par les parieurs au sujet de l’enfant qu’on attend. Les gens de bourse ont calculé que les fonds, si c’est une princesse, ne monteront que de 2 1/2 pour 100 ; ils monteront de 6 pour 100, si c’est un prince. Le croirez-vous ? pour obtenir le plus tôt possible la nouvelle certaine des espérances de la princesse Charlotte, les ambassadeurs des plus grandes puissances n’ont pas dédaigné de me faire, à moi, docteur très humble, les visites les plus obligeantes et les plus cordiales. »

Les commencemens de la grossesse furent très heureux. Stockmar, témoin si attentif en toute occasion, avait ici une compétence particulière : non pas que le médecin du prince Léopold ait consenti à être le médecin de la princesse Charlotte dans une circonstance aussi grave ; il s’y refusa expressément. Circonspect jusqu’à la défiance, une telle responsabilité l’épouvantait. Il s’en expliqua dès le début avec la princesse elle-même comme avec le prince. Il avait bien pu, avant la grossesse de l’héritière du trône, et quand ses médecins ne se trouvaient pas là, lui donner des soins dans les cas urgens ; une fois la grossesse déclarée, il signifia sa résolution de se tenir absolument à l’écart. « Je connaissais trop bien les écueils, écrit-il dans son journal ; je connaissais trop l’orgueil de la nation et son mépris de l’étranger pour ignorer à quoi je devais m’attendre : on ne m’aurait su aucun gré d’un résultat heureux, et en cas de malheur j’eusse été responsable de tout. » Cependant, après les trois premiers mois, observateur quotidien des symptômes que présentait l’état de la princesse, il crut remarquer certaines fautes dans le traitement qui lui était prescrit ; il en parla au prince et le pria de communiquer ses remarques aux médecins en titre. « Il n’y a pas lieu, ajoute-t-il, de consigner ici le résultat de cette communication, mais vous voyez à quel point j’ai été bien inspiré. Assurément j’étais loin de prévoir une issue aussi funeste ; toutefois ma détermination était si fortement arrêtée, que je ne consentis même pas à soigner la princesse après ses couches aux heures où ses médecins de Londres ne pourraient prolonger leurs visites à Claremont. C’était une grande marque de confiance et une tentation bien séduisante ; je ne m’y laissai pas séduire. Je ne me décidai à voir la princesse qu’après que les médecins, signalant l’extrême gravité du péril, m’appelèrent expressément au lit de l’auguste malade. C’était deux heures et demie avant sa mort. »

Là-dessus, le défiant docteur se complaît encore dans l’admiration de sa prudence. Il ne s’aperçoit pas qu’en faisant le procès à