Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coupoles couronnaient l’édifice. Elles se pressaient les unes contre les autres, s’amoncelaient et se pénétraient réciproquement. L’or, l’argent et les faïences peintes, semblables à de brillantes écailles, revêtaient le palais du haut en bas. Quand le soleil l’éclairait, on ne savait si c’était un palais, un bouquet de fleurs géantes ou des oiseaux de paradis volant en troupes immenses et étendant au soleil leur plumage d’or. » Lorsque Jenkinson eut baisé la main du tsar et fait son compliment, Ivan, suivant l’étiquette de sa cour, se leva et dit : « Ma sœur, la reine Elisabeth, est-elle en bonne santé ? » A quoi l’envoyé répondit : « Dieu a donné à sa majesté la santé et la paix ; ce sont les grâces, qu’elle te souhaite, à toi, milord, son frère bien-aimé. » Le tsar se rassit, ordonna, aux assistans de se retirer, à l’exception de deux ministres, et fit signe à Jenkinson d’approcher avec son drogman. Pour répondre aux griefs allégués, par le tsar, Jenkinson entreprit l’apologie de son gouvernement, rappela quels périls avaient bravés les Anglais pour ouvrir la route de la Mer-Blanche, lui apporter malgré les menaces de Sigismond les armes nécessaires à la victoire, enfin le venger des écumeurs de mer. Ces raisons firent-elles impression sur Ivan, ou céda-t-il à ce goût si vif, tant de fois manifesté, pour la personne du capitaine anglais ? Dans une seconde audience, à Staritsa, le tsar parut sur son trône, en vêtemens éblouissans, la couronne sur la tête, son fils aîné assis à côté de lui. Il déclara qu’il remettait à un autre temps les négociations sur la grande affaire : la situation avait changé, il ne se croyait plus en péril. « Dans la suite, si les mêmes circonstances se représentaient, on reprendrait les négociations sur le même sujet. » Il lui dit qu’à sa considération il oubliait les mécontentemens que lui avaient donnés les marchands anglais, et leur rendait sa faveur et tous leurs privilèges. Il l’aurait fait plus tôt, si la reine lui eût envoyé plus tôt Jenkinson. Comme celui-ci insistait pour connaître ceux dont le tsar avait à se plaindre : « Tu ne sauras pas leur nom, répondit Ivan. Je leur ai pardonné toutes leurs offenses. Que signifierait mon pardon impérial, si je les faisais punir par votre reine ? » Alors il se leva de nouveau, ôta son bonnet et dit : « Transmets à notre sœur bien-aimée notre salut cordial. » Il étendit sa main pour que Jenkinson la baisât, et ordonna à son fils d’en faire autant et de saluer également la reine d’Angleterre. Il fit apporter du vin et des liqueurs qu’il offrit de ses propres mains à l’envoyé. L’audience de congé était terminée. Jenkinson repartit pour l’Angleterre.

Pourtant il y avait une clause dont l’obstiné Moscovite ne démordrait pas facilement. Elisabeth, lui avait assuré un asile sûr dans ses états d’Angleterre, — où toutes les personnes royales n’étaient pas en sûreté, — le libre exercice de sa religion et tous les