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Petchora, l’Obi. Ils s’établissaient dans presque toutes les villes de l’empire, à Pskof, Astrakhan, Kazan, les deux Novgorod, Narva, qui venait de tomber au pouvoir des Russes.

Les défiances d’Ivan s’accroissaient contre son entourage ; il croyait à une entente de ses ennemis du dedans avec ceux du dehors, le roi de Pologne et le khan de Crimée. Contre ceux-ci, les Anglais l’aident puissamment en lui amenant des armes, des canons, des ingénieurs. Le mécontentement de Sigismond se traduit par les notes singulières que, de 1561 à 1569, il fait passer à Elisabeth, et dans lesquelles il assimile les Russes à des Barbaresques auxquels nulle nation chrétienne ne doit porter secours. « Nous voyons par cette navigation nouvelle le Moscovite, qui n’est pas seulement notre adversaire d’aujourd’hui, mais l’ennemi héréditaire de toutes les nations libres, se munir et s’outiller puissamment, non-seulement de canons, de boulets et de munitions, mais surtout d’artisans qui continuent à lui fabriquer ces armes, jusqu’alors inconnues dans cette barbarie… Nous ne permettrons pas qu’une telle navigation reste libre. » Sigismond est tellement irrité de voir le tsar presqu’en mesure de lutter contre lui à armes égales, qu’il laisse échapper cet aveu singulier : « il semble que nous ne l’ayons vaincu jusqu’ici que parce qu’il ignorait les arts de la guerre et les finesses de la politique. Or, si cette navigation continue, que lui restera-t-il à apprendre ? » Sigismond en vient même à des menaces qui, de la part de la Pologne à la première puissance maritime du temps, pouvaient paraître déplacées. « Notre flotte saisira tous ceux qui continueront à naviguer par ce chemin : ils seront en danger de perdre leur vie, leur liberté, leurs femmes et leurs enfans. » Les Anglais, contre l’ennemi du dehors, rendaient au tsar le service de tenir libres la Baltique et la Mer-Blanche, de mépriser les déclamations de Sigismond sur les Barbaresques du nord, de braver cette terreur maritime que le roi de Pologne voulait faire planer sur les côtes de la Russie, d’armer Ivan contre l’Europe hostile de tous les arts de l’Europe. A l’intérieur, il attendait d’eux un service plus grand. Jamais peut-être on n’a vu spectacle plus étrange. Voilà un souverain absolu, le plus absolu de son siècle, dont les sujets n’approchent qu’en se prosternant, dont un signe fait tomber les têtes et dont un regard fait mourir. Voilà un prince dans la force de l’âge, un victorieux qui naguère a conquis deux royaumes, brisé pour jamais la puissance des porte-glaives, subjugué la Baltique allemande et dont les succès arrachent à Sigismond des cris de rage. Eh bien ! ce tsar environné de terreur est en proie lui-même à la terreur ; la confidence de ses angoisses, il n’osera la faire qu’à des étrangers ; ni les triomphes de ses armées, ni le